« Il est Peul originaire de Fuuta Jaloo, il fut l’un des plus grands savants saoudiens du 18 siècle, son influence intelectuelle s’est étendue jusqu’en Inde. Lisez son histoire »
Découverte historique en Arabie Saoudite
SALIH Umar AL – FULLANI (1752/3- 1803)
vient de Noussy Labé en Guinée.
Salih al-Fullani est une figure presque inconnue des lettrés du Fuuta Jaloo. Je l’ai ‘découvert’ à la lecture d’un article d’un chercheur américain arabisant de stature internationale, J.O. Hunwick1 , auquel la communauté scientifique occidentale doit la connaissance de sa vie. Je tiens ici à lui rendre un hommage appuyé ainsi qu’à Bernard Salvaing qui tous deux m’ont permis de lire cet article presque introuvable en France et que son auteur a dû m’envoyer des Etats-Unis.
1. Un illustre inconnu : l’histoire d’un Karamoko émigré en Arabie
Saoudite.
Il est paradoxal que la principale source en arabe sur sa biographie soit l’œuvre d’un savant marocain, Abd al-Hayy al-Kattani (m.1962) et que celle disponible dans le monde occidental soit celle d’un Américain; ceci témoigne à quel point la culture fuutanke est digne d’intérêt et mérite notre attention ainsi que sa mise en valeur.
Abd al-Hayy al-Kattani détenait non seulement un manuscrit de la main de l’auteur mais s’y rattachait également par de longues chaînes de transmission spirituelles (asanid). L’une d’entre elles n’avait que deux degrés de distance entre le grand maître et le lettré marocain à travers Ahmad al-Barzanji al-Madani (m.1914) qu’il tenait de son père Ismaël, mufti de Médine qui s’était assis au pied de Salih al-Fullani dans sa jeunesse. Une autre filiation prestigieuse s’étendait sur quatre générations dans une famille maraboutique maure pour se conclure par Muhammad al- Hafiz b. al- Mukhtar al-Alawi (m.1830), grand propagateur de la Tijjaniya parmi sa tribu, les Idawali – d’autres chaînes de transmission d’al- Kattani comptent des savants Indiens parmi leurs degrés.
Origines
Salih b. Muhamad b. Nuh b. ’Abd Allah b. ‘Umar al-Fullani naquit en 1166 H/ 1752-3 dans le village de Noussi, appartenant au diwal de Kolladhé; l’un des neuf diiwe qui constituèrent la confédération théocratique du Fuuta Jaloo lors du premier concile qui se tint à Bouruwal Tappé vers 1121 H/ 1743-4.
Alfa Amadou, lamdo du Kolladhé est une grande figure historique qui se rendit avec Karamoko Alfa mo Labé (1692-1776) au Bundu pour poursuivre ses études ; à leur retour, tous deux constituèrent des fiefs dans lesquels ils s’employèrent à islamiser les habitants.
Salih al- Fullani naquit quelques années avant l’installation de la capitale du diwal d’ Alfa Mamadou Cellou à Labé (vers 1133H/1755-6), à une époque où le prestige de son pays commençait à s’affirmer dans le domaine du savoir islamique. On peut d’ailleurs signaler qu’à l’origine, Karamoko Alfa mo Labé aurait demandé à son ami Alfa Amadou Kolladhé de bien vouloir le laisser s’installer sur ce plateau qui dépendait politiquement de lui.
2. A la recherche du savoir
Midho joodhii e tulde gandun am
No mi yheewira nibhe majjere am.
(‘Je suis assis sur mon modeste savoir
Pour sonder l’épaisseur de mon ignorance’)
Thierno Mamadou Samba Mombéya
Salih al- Fullani a passé les premières années de sa vie à s’instruire dans son village ainsi qu’auprès de membres de sa famille. Cet élève était si précoce, que dès l’âge de douze ans ; il sentit le besoin de compléter son savoir en entamant la quête du savoir qui faisait partie du cursus de tout étudiant d’ Afrique de l’ Ouest à cette époque.
Il se rendit dans le sud de la Mauritanie où il étudia un an chez le savant Muhammad b. Buna, avant de poursuivre à Baghana (à l’ouest du Macina) où il resta quatre ans avec Muhammad b. Sinna al- Fullani al-Shinqiti (m.1186/1772-3). Cette grande personnalité peule vivant en ‘pays maure’(Blad Shinqit), ayant visité les centres religieux du Sahara occidental (Tamgrout, dans l’Oued Draa), du Maroc, de la région du Touat et de celle de Tombouctou ainsi que l’ Afrique subsaharienne (sans doute se rendit-elle jusqu’au Fuuta Jaloo) correspondait avec des savants d’Egypte, de Syrie et du Hedjaz.
Salih al-Fullani quitta son maître en 1679 ou 1770 pour passer l’année suivante à Tombouctou, avant d’entreprendre la traversée du Sahara. En cours de route, il s’arrêta pendant un an dans la zawiya centrale de la confrérie Nasiriyya (en partie inspirée de la Shadiliyya) qui abritait une bibliothèque renommée, il poursuivit ensuite sa quête du savoir à Marrakech où il séjourna six mois. Il se dirigea ensuite vers l’Est et marqua une pause à Tunis, puis atteint Le Caire en 1187/ 1773-4.
En l’espace de trois mois, Salih al –Fullani prit rapidement contact avec les autorités savantes du moment et suivit leur enseignement. Il y avait au nombre de ces derniers le juriste Malékite Ali al-Sa’idi al- Adawi (m.1189/1785) et son élève Ahmad al-Dardir (m.1201/1786), tous deux auteurs d’ouvrages de commentaires renommés sur des traités de fiqh malékite ; al- Dardir était également à la tête de la confrérie Khalwatiyya en Egypte.
Cependant, Murtada al-Zabidi (m.1205/1791) était d’une stature encore plus grande, et son nom fut associé à celui de Salih al-Fullani en tant que mujaddi’ du XIIIe siècle -après l’Hégire). (Sur la base du hadith ‘Dieu envoie à sa communauté au commencement de chaque siècle un individu qui régénère la religion pour lui’, il existe des ‘régénérateurs’ (mujaddidun) au nombre desquels se trouvèrent ces deux derniers).
Murtada al-Zabidi lui accorda l’insigne honneur d’une ijaza générale, l’autorisant à transmettre tous les ouvrages que le savant égyptien avait reçu l’autorisation d’enseigner des mains de ses différents shaykh-s . Quelques mois plus tard, Salih al –Fullani se rendit à Médine, ville où il resterait jusqu’à sa mort (en 1218/ entre le 17 septembre et le 17 octobre 1803), mis à part quelques séjours à La Mecque.
3. La vie à Médine
On ne connaît pas dans les détails la vie du savant fuutanke à Médine, il passa l’essentiel de son séjour à la recherche de la connaissance des hadith-s, en étudiant notamment avec les lettrés du Hedjaz pour acquérir de nouvelles et de meilleures chaînes de transmissions pour les principaux ouvrages du corpus juridique.
· la quête des asanid
La chaîne de transmission ‘supérieure’ est celle pour laquelle le nombre de personnes séparant celui qui reçoit le savoir et l’auteur de l’ouvrage est le plus réduit- on considère que ce nombre est la garantie d’une stricte transmission. Cependant, une chaîne peut également être ‘supérieure’ en raison de la réputation de ses ‘transmetteurs’ et dés lors, peu importe leur nombre.
Dans le Hedjaz , son maître le plus important fut le juriste Hanafite et grand connaisseur de hadith-s Muhammad Sa’id b. Muhammad Safar (m. 1192/1778) qui avait étudié chez Abu’l Hassan al- Sindi, commentateur du Musnad d’Ibn Hanbal. La quasi totalité des asnad fournies par Salih al-Fullani dans son Qatf Al-Thamar ne commençant pas par le nom d’Ibn Sinna al- Fullani débutent par celui de Muhammad Sa’id Safar (ainsi l’appelait – on couramment).
Nombreux sont les ouvrages pour lesquels Salih Noussi détaille ses chaînes de transmission selon ses différents maîtres. Umm al- Zayn (née 1153/1739-40) qui fut l’élève de Muhammad Sa’id avant qu’il ne l’épouse lui enseigna également et fut l’une des autorités Mecquoises en matière de sciences religieuses à la fin du XVIIIe siècle.
Le lettré fuutanke suivit également les cours d’ Ibrahim b. Muhammad al- Hashimi, connu sous le nom de ‘al- Amir’ (m.1213/1799) qui naquit et grandit à Sanaa, capitale du Yémen et s’installa ensuite à La Mecque où il demeura jusqu’à sa mort. Il condamnait l’ acceptation aveugle de toute école juridique (maddhab) défendant l’adhésion (ittiba) sans recul à la Sunna. Ce point central de l’enseignement de Salih al-Fullani et du fameux lettré Yéménite Muhammad al-Shawkani (m.1250/1834) a rencontré un écho considérable au sein du mouvement Indien Ahl-i Hadith.
Muhammad b. Abd al-Karim al-Samman fut une autre sommité que fréquenta Salih Noussi ; ce lettré Médinois et grand sufi lui remit également une ijaza générale et l’initia à la branche de la tariqa (confrérie) Shadiliyya qui porte son nom.
· les confréries
Toutefois, nous ignorons les affiliations confrériques de Salih al-Fullani. Il est probable qu’il ait été initié à la Qadiriyya dans sa jeunesse en Afrique de l’Ouest mais l’arrivée de la Shadiliyya est postérieure au Fuuta Jaloo.
Elle fut vraisemblablement introduite dans la première moitié du XIXè s. par Shaykh Ali al-Sufi as-Sailawiyu, originaire de Karantagui (Labé) où il fit ses premières études. Selon Al hajj Abdourahmane Diallo, imam de Poyé (Lélouma) , le conseil de Famille des Seeleyaabe composé des grands Waliyaabe tels que Shaykh Bubakar Poti, Cerno Sadou Dalen et Cerno Mamadou Samba Mombeya et l’aurait ensuite chargé de se rendre au Maroc pour apprendre la prononciation correcte de certaines lettres du Coran.
C’est au cours de ce voyage qu’il s’initia auprès de son maître à Fès, Ali Soufi al- Fassi, dont il prit le nom en signe de dévotion. De retour au Fuuta, il propagea son wird en le transmettant notamment à Thierno Ismaïla Zawiya, construisit une mosquée à Kansa Gawol puis se rendit près de Timbo, dans le village de Daara où il mourut et repose.
Lors de son séjour dans la zawiya Nasiriyya, Salih Noussi a probablement été initié à certains secrets de cette sous branche (ta’ifa) de la Shadiliyya avant d’entrer en contact avec Shaykh al-Dardir qui l’affilia peut-être à la silisat de la tariqa Khalwatiyya. Il est certain que Salih al-Fullani avait de nombreuses affIliations sufi, qu’il mentionne dans une annexe à son ouvrage al-Thamar al-yani, dans lequel il détaille ses asnad-s.
Il semble avoir fait montre du même zèle pour récolter ces silsilat et ses asanid de livres de hadith-s et d’autres sciences islamiques en raison de la tradition qui veut que l’on obtienne la baraka d’ hommes de Dieu savants et érudits des générations précédentes en prenant une chaîne de transmission les comprenant – les asanid sufi étant les plus prisées. Al – Samman lui-même avait été initié à la Qadiriyya et à la Khalwatiyya avant de connaître la Shadiliyya.
4. le recensement d’un savoir encyclopédique
Jangaa Tawhiidi, nahawu e bayan’
lukha, figh’ha, Hadiise e suufi lusu
Jangaa Tafsiiru e bhaawo dhu’um
huuraa nabhidaa gandal e dewal
Oogirde Malal (1825), Fii Kuudhe Dewal, v. 306-307
Thierno Mamadou Samba Mombéya
En 1203/1788-9, alors âgé de trente-six ans, Salih al-Fullani considéra que son éducation était suffisante pour lui permettre de compiler un registre (thabt) des ouvrages qui lui avaient été transmis et de leurs différents asanid. Cet ouvrage est la version résumé d’un autre registre, plus long que l’on n’a pu dater.
Son antériorité peut se déduire du fait que l’un soit appelé ‘le grand registre’ alors que l’autre est connu sous le nom du ‘petit registre’ (al-thabt al-kabir et al-thabt al-saghir) mais également par la relation impliquée par les deux titres : l’un s’intitule al-Thamar al-Yani – ‘le fruit mur’, alors que l’autre, plus court, est appelé Qatf al-Thamar – ‘la cueillette du fruit’.
Cet ouvrage a été publié à Hyderabad (Pakistan) en 1328/1910 avec Ithaf al-akabir d’al- Shawkani et plusieurs autres œuvres semblables alors qu’il ne subsiste qu’un exemplaire à l’état de manuscrit de sa version plus longue conservé dans la bibliothèque royale de Rabat (Maroc).
La formation de Salih al-Fullani a été particulièrement soignée et complète, en particulier dans certaines disciplines. Son ‘petit registre’ est divisé en rubriques, contenant chacune une chaîne de transmission par ouvrage. Parfois, plusieurs asanid existent pour un ouvrage et souvent, après avoir ‘égrené’ la chaîne, il donne une liste d’autres ouvrages du même auteur transmis par ce dernier avec une chaîne identique. Certaines fois, il entend transmettre toute l’œuvre d’un auteur (jami musannafatihi) au moyen d’une chaîne.
La science du hadith occupe une grande place parmi ses études. Il débute par les nombreuses chaînes qu’il a pour le Muwatta de Malik, livre qu’il tient pour la ‘source première de quintessence’. Il poursuit avec des asanid du Sahih d’al- Bukhari –‘ la seconde source dans ce domaine’- et continue avec des ouvrages de hadith-s. Il avait étudié de nombreux commentaires des plus grand recueils de hadith-s : treize de Bukhari, huit de Muwatta et six de Muslim.
Il étudia également des ouvrages traitant des détails techniques de la transmission des hadith-s dans des ouvrages tels qu’ ‘Ulum al-hadith d’Ibn Salah, l’Alfiyya d’al- Iraqi, l’Isti’ab ainsi que d’autres écrits d’Ibn ‘Abd al-Barr, et les œuvres complètes du grand spécialiste des hadith-s du Xè siècle, al-Hakim al-Nisaburi.
En dépit de son opposition au ‘maddhabisme’, Salih Noussi mena une étude approfondie du droit malékite, en particulier des ouvrages suivants- cités à titre d’exemple : la Mudawwana de Sahnun, l’ ‘Utbiyya, le Tahdhib d’al-Baradhi’i, la Rissala d’Ibn Abi Zayd, les ouvrages d’Ibn Jallab et d’Averroès, le Mukhtasar d’Ibn Arafa et l’abrégé classique du Mukhtasar de Khalil avec les plus de vingt commentaires s’y rapportant.
Dans le champs du tafsir, mis à part les commentaires connus d’al-Baydawi, d’al-Zamakhshari, d’al-Razi et d’al- Qurtbi, il étudia également les ouvrages moins connus d’Ibn Juzzay, Ibn ‘Atiyya, al-Baghawi et al-Wahidi.
Pour ce qui concerne le tawhid, il avait étudié le Waraqat, l’Irshad et d’autres écrits de l’Imam al Haramayn al-Juwayni ainsi que les derniers ouvrages de vulgarisation religieuse à la mode dans le monde islamique occidental tels les trois ‘Credos’ d’al- Sanusi, le Jawharat al-tawhid d’al-Laqqani et l’Ida’at al- dujunna d’al-Maqqari ainsi que leurs commentaires.
Ses études dans le domaine des sciences du langage furent également approfondies. Voici un échantillon des ouvrages étudiés avec ses maîtres ; nous soulignerons qu’il acquit l’essentiel de ce savoir entre les mains d’ Ibn Sinna al-Fullani , ce qui témoigne du niveau de connaissances en arabe atteint en Sénégambie par les marabouts peuls du XVIIIe siècle .
En grammaire, il étudia le livre de Sibawayhi, le Jumal d’al –Zajjaji et le commentaires d’Ibn ‘Aqi sur l’Alfiyya et le Tashli d’Ibn Malik ainsi que le Mulhat al-‘irab d’al-Hariri. En lexicographie, il étudia le Kitab al-‘ayn d’al Khalil b. Ahmad, le Sihah d’al-Jawhari, le Lisan al-‘arab d’Ibn Manzur et le Qamus d’al- Firuzabadi. Il faut également intégrer à l’étude de la grande famille des sciences du langage le Maqamat d’al-Hariri et son Durrat al- ghawass, le Kamil d’al- Mubarrad, l’Amali d’al- Qali et le Talkhis al-miftah d’al -Qazwini.
Salih al-Fullani acquit également des lumières dans la Sira (vie du Prophète- psl), la logique, la prosodie et le soufisme, discipline dans laquelle il étudia l’ Hikam d’Ibn Ata’ Allah, l’Ahzab d’al-Shadhili, le Dala’il al-khayrat d’al-Jazuli et le grand Ihya d’al-Ghazali.
Il ne cite qu’un ouvrage d’histoire, al- Iqd al-thamin fi tarikh al-balad al-amin de Tqi al-Din al-Fasi, dont l’étude s’explique sans doute par son intérêt pour l’histoire de La Mecque et de ses lettrés.
5. l’enseignement
On ne sait quand Salih Noussi débuta l’enseignement : il avait vingt et un ans à son arrivée à Médine et trente-six quand il rédigea son ‘petit registre’. Il est possible qu’il ait commencé à enseigner alors qu’il continuait sa recherche du savoir, comme les savant musulmans ont coutume de le faire jusqu’à leur mort. On sait peu de chose de ces activités de professeur mais une liste de vingt quatre lettrés qui furent ses élèves est riche de renseignements.
La majorité d’entre eux sont des Mecquois et des Médinois des plus grandes familles, dont ‘Abd al-Hafiz al-’Ujaymi, cadi de La Mecque (m. 1820) ainsi que deux membres du clan de chérifs Jamal al-Layl (Muhammad Salih et Zayn al- Abidin), dont des lignages étaient établis sur le littoral d’Afrique orientale( les Cités- Etats Swahili). On peut peut-être mettre au nombre des lettrés Haramayn Muhammad al’ Abid al- Sindi (m.1257-1841), juriste Hanafi qui fut cadi de Zabid puis de Sanaa (Yémen) avant d‘être nommé chef des oulémas des Villes Saintes sous l’occupation Ottomane par le pacha Muhammad Ali en 1232/ 1816-17.
On comptait aussi trois élèves Syriens (dont al-Shams Abidin , mufti de Damas et Wajih al-Din al-Kuzbari (m.1846) dont le père avait enseigné Salih), un Egyptien, un Kurde, une Hanbalite et cinq ‘gens de l’Ouest’- par rapport aux Lieux Saints.
Cette catégorie comprend un Marocain, le grammairien Hamdun b. al Hajj al-Fasi (m.1857) , deux ‘Shinqitis’ (Maures) qui s’illustrèrent dans la diffusion de la tariqa Tijaniya Muhammad al- Hafiz 2 et ‘Abd al-Rahman al-Shinqiti (m.1224-1809-10) ainsi que deux Peuls, Muhammad b. Hashim et Muhammad b. Gordo dont on ne connaît pas l’origine exacte.
On ignore toutefois si ces derniers retournèrent en Afrique de l’Ouest et s’ils propagèrent son enseignement. Néanmoins, certaines des idées de Salih al-Fullani étaient connues en pays Haoussa au XVIII è s. : Ousmane dan Fodio (1754-1817) écrivit un petit pamphlet (Hidayat al-tullab) insistant contre le fait de suivre aveuglément une école juridique et rappelant la règle qui casse un jugement rendu en contradiction avec le texte (nass) du Coran ou des hadith-s.
Quant à al hajj Umar (1794-1864), il tint le même discours dans l’ouvrage fondamental de la Tijaniya, ‘Les Lances’ : Rimah hizb al-rahim ‘ala nuhur hizb al-rajim – écrit en 1261/1845 alors qu’il résidait à Diégounko (région de Kolen).
Les activités d’enseignement de Salih al-Fullani ont quelque peu éclipsé sa contribution à la littérature, que nous allons brosser à grands traits .
6. Quelques une des ses œuvres
· Iqaz himam uli’l absar li’l iqtida’ bi-sayyid al-muhaajirin wa’l ansar wa-tahdhirim ‘an al-ibtida al –sha’i fi ‘l-qura wa’l amsar min taqlid al-madhahib ma’ al-hamiyya wa’l- asabiyya bayn fuqaha al-a’sar : 2crit contre le ‘maddhabisme’, insistant sur la nécessité de l’ijtihad (effort de réflexion personnelle) dans le corpus de hadith-s.
· Manzuma : insiste sur la nécessité d’agi en conformité avec le Coran et la Sunna, même si les opinions de juristes diffèrent.
· Qatf al-thamar fi raf asanid al-musannafat fi’l –funun wa’l- athar : aussi appelé al-Thabat al-Saghir, recensement de ces asnad.
· al-Thamar al-yani fi raf turuq al-musalsalat wa’l-ajza wa’l jawami wa dhikr turuq al-tasawwuf wa-ma laha min al-tawabi : également connu sous le nom d’Ihya marasim al-asanid ou le Thabat al-Kabir
· Tuhfat al-akyas bi-ajwibat al-imam Khayr al-Din b.Ilyas: versification d’un texte d’al -Suyuti sur les lettres de l’alphabet, composé en réponse à des questions du mufti de Médine
7. Un marabout fuutanke vénéré par les Indiens
On ne sait pas précisément comment l’influence de Salih al- Fullani est passée en Inde à travers le mouvement de réforme religieuse Ahl-i Hadith ; on peut cependant supposer que certains lettrés Indiens qui furent ses élèves adoptèrent ensuite les idées de ce mouvement.
Le Hedjaz était alors le lieu cosmopolite où se rencontrait des représentants de toute la Oumma et en ces temps où les communications étaient ardues, les idées suivaient leurs cours le long des routes commerciales à travers le Sahara, l’océan Indien, les déserts asiatiques…
En revanche, il est certain que son œuvre Iqaz himan uli ‘l absar eut une grande influence en Inde où elle fut publiée pour la première fois; l’intérêt pour le karamoko de Noussi était tel dans ce pays que Qatf al-Thamar fut également publié en 138/1910-11.
‘Conclusion’
Voici ce que l’on peut dire au terme de ce parcours biographique sur la vie d’un lettré issu du Leydi di’e, dime, diina e dimaagu. Ce Fuuta Jaloo qui accueillit, forma et exporta des savants et dont l’exemple doit demeurer à jamais gravé dans la mémoire de nos contemporains.
1 a/ Salih al-Fullani of Futa-Jallon: an 18th century scholar and majaddid’, BIFAN, B (1978).
b/ Salih al-Fullani (1752/3-1803) The Career and Teachings of A West African ‘Alim in Medina, In the Quest of an Islamic Humanism, American University Press, 1984
2 Important muqqadam dans les silsilat du Fuuta Jaloo, à simple titre d’exemple, voici celle de mon grand’ père et homonyme, al hajj alfa Mamadou Lélouma: Cerno Sadu MawBe Lélouma -Alfa Umar Râfiou Daara Labe-Al Hajj Umar Tall- Sheikh Mawlud Fall – Sheikh Mohammed El-Hâfiz -Sheikh Ahmed At-Tijani.
Alpha Mamadou Lélouma
Cet article est dédié à Nennen Hadja Mariama Chérif Haïdara Sagalé (décédée à Labé le 12/03/2003) et à Nennen Hadja Kadiatou Barry Bantighel (décédée à Conakry le 23/03/2003) ‘’Yo Allah yaafo ɓe.(((( Il est Peul originaire de Fuuta Jaloo, il fut l’un des plus grands savants saoudiens du 18 siècle, son influence intelectuelle s’est étendue jusqu’en Inde. Lisez son histoire )))
Découverte historique en Arabie Saoudite
SALIH Umar AL – FULLANI (1752/3- 1803)
vient de Noussy Labé en Guinée
Salih al-Fullani est une figure presque inconnue des lettrés du Fuuta Jaloo. Je l’ai ‘découvert’ à la lecture d’un article d’un chercheur américain arabisant de stature internationale, J.O. Hunwick1 , auquel la communauté scientifique occidentale doit la connaissance de sa vie. Je tiens ici à lui rendre un hommage appuyé ainsi qu’à Bernard Salvaing qui tous deux m’ont permis de lire cet article presque introuvable en France et que son auteur a dû m’envoyer des Etats-Unis.
1. Un illustre inconnu : l’histoire d’un Karamoko émigré en Arabie
Saoudite
Il est paradoxal que la principale source en arabe sur sa biographie soit l’œuvre d’un savant marocain, Abd al-Hayy al-Kattani (m.1962) et que celle disponible dans le monde occidental soit celle d’un Américain; ceci témoigne à quel point la culture fuutanke est digne d’intérêt et mérite notre attention ainsi que sa mise en valeur.
Abd al-Hayy al-Kattani détenait non seulement un manuscrit de la main de l’auteur mais s’y rattachait également par de longues chaînes de transmission spirituelles (asanid). L’une d’entre elles n’avait que deux degrés de distance entre le grand maître et le lettré marocain à travers Ahmad al-Barzanji al-Madani (m.1914) qu’il tenait de son père Ismaël, mufti de Médine qui s’était assis au pied de Salih al-Fullani dans sa jeunesse. Une autre filiation prestigieuse s’étendait sur quatre générations dans une famille maraboutique maure pour se conclure par Muhammad al- Hafiz b. al- Mukhtar al-Alawi (m.1830), grand propagateur de la Tijjaniya parmi sa tribu, les Idawali – d’autres chaînes de transmission d’al- Kattani comptent des savants Indiens parmi leurs degrés.
Origines
Salih b. Muhamad b. Nuh b. ’Abd Allah b. ‘Umar al-Fullani naquit en 1166 H/ 1752-3 dans le village de Noussi, appartenant au diwal de Kolladhé; l’un des neuf diiwe qui constituèrent la confédération théocratique du Fuuta Jaloo lors du premier concile qui se tint à Bouruwal Tappé vers 1121 H/ 1743-4.
Alfa Amadou, lamdo du Kolladhé est une grande figure historique qui se rendit avec Karamoko Alfa mo Labé (1692-1776) au Bundu pour poursuivre ses études ; à leur retour, tous deux constituèrent des fiefs dans lesquels ils s’employèrent à islamiser les habitants.
Salih al- Fullani naquit quelques années avant l’installation de la capitale du diwal d’ Alfa Mamadou Cellou à Labé (vers 1133H/1755-6), à une époque où le prestige de son pays commençait à s’affirmer dans le domaine du savoir islamique. On peut d’ailleurs signaler qu’à l’origine, Karamoko Alfa mo Labé aurait demandé à son ami Alfa Amadou Kolladhé de bien vouloir le laisser s’installer sur ce plateau qui dépendait politiquement de lui.
2. A la recherche du savoir
Midho joodhii e tulde gandun am
No mi yheewira nibhe majjere am.
(‘Je suis assis sur mon modeste savoir
Pour sonder l’épaisseur de mon ignorance’)
Thierno Mamadou Samba Mombéya
Salih al- Fullani a passé les premières années de sa vie à s’instruire dans son village ainsi qu’auprès de membres de sa famille. Cet élève était si précoce, que dès l’âge de douze ans ; il sentit le besoin de compléter son savoir en entamant la quête du savoir qui faisait partie du cursus de tout étudiant d’ Afrique de l’ Ouest à cette époque.
Il se rendit dans le sud de la Mauritanie où il étudia un an chez le savant Muhammad b. Buna, avant de poursuivre à Baghana (à l’ouest du Macina) où il resta quatre ans avec Muhammad b. Sinna al- Fullani al-Shinqiti (m.1186/1772-3). Cette grande personnalité peule vivant en ‘pays maure’(Blad Shinqit), ayant visité les centres religieux du Sahara occidental (Tamgrout, dans l’Oued Draa), du Maroc, de la région du Touat et de celle de Tombouctou ainsi que l’ Afrique subsaharienne (sans doute se rendit-elle jusqu’au Fuuta Jaloo) correspondait avec des savants d’Egypte, de Syrie et du Hedjaz.
Salih al-Fullani quitta son maître en 1679 ou 1770 pour passer l’année suivante à Tombouctou, avant d’entreprendre la traversée du Sahara. En cours de route, il s’arrêta pendant un an dans la zawiya centrale de la confrérie Nasiriyya (en partie inspirée de la Shadiliyya) qui abritait une bibliothèque renommée, il poursuivit ensuite sa quête du savoir à Marrakech où il séjourna six mois. Il se dirigea ensuite vers l’Est et marqua une pause à Tunis, puis atteint Le Caire en 1187/ 1773-4.
En l’espace de trois mois, Salih al –Fullani prit rapidement contact avec les autorités savantes du moment et suivit leur enseignement. Il y avait au nombre de ces derniers le juriste Malékite Ali al-Sa’idi al- Adawi (m.1189/1785) et son élève Ahmad al-Dardir (m.1201/1786), tous deux auteurs d’ouvrages de commentaires renommés sur des traités de fiqh malékite ; al- Dardir était également à la tête de la confrérie Khalwatiyya en Egypte.
Cependant, Murtada al-Zabidi (m.1205/1791) était d’une stature encore plus grande, et son nom fut associé à celui de Salih al-Fullani en tant que mujaddi’ du XIIIe siècle -après l’Hégire). (Sur la base du hadith ‘Dieu envoie à sa communauté au commencement de chaque siècle un individu qui régénère la religion pour lui’, il existe des ‘régénérateurs’ (mujaddidun) au nombre desquels se trouvèrent ces deux derniers).
Murtada al-Zabidi lui accorda l’insigne honneur d’une ijaza générale, l’autorisant à transmettre tous les ouvrages que le savant égyptien avait reçu l’autorisation d’enseigner des mains de ses différents shaykh-s . Quelques mois plus tard, Salih al –Fullani se rendit à Médine, ville où il resterait jusqu’à sa mort (en 1218/ entre le 17 septembre et le 17 octobre 1803), mis à part quelques séjours à La Mecque.
3. La vie à Médine
On ne connaît pas dans les détails la vie du savant fuutanke à Médine, il passa l’essentiel de son séjour à la recherche de la connaissance des hadith-s, en étudiant notamment avec les lettrés du Hedjaz pour acquérir de nouvelles et de meilleures chaînes de transmissions pour les principaux ouvrages du corpus juridique.
· la quête des asanid
La chaîne de transmission ‘supérieure’ est celle pour laquelle le nombre de personnes séparant celui qui reçoit le savoir et l’auteur de l’ouvrage est le plus réduit- on considère que ce nombre est la garantie d’une stricte transmission. Cependant, une chaîne peut également être ‘supérieure’ en raison de la réputation de ses ‘transmetteurs’ et dés lors, peu importe leur nombre.
Dans le Hedjaz , son maître le plus important fut le juriste Hanafite et grand connaisseur de hadith-s Muhammad Sa’id b. Muhammad Safar (m. 1192/1778) qui avait étudié chez Abu’l Hassan al- Sindi, commentateur du Musnad d’Ibn Hanbal. La quasi totalité des asnad fournies par Salih al-Fullani dans son Qatf Al-Thamar ne commençant pas par le nom d’Ibn Sinna al- Fullani débutent par celui de Muhammad Sa’id Safar (ainsi l’appelait – on couramment).
Nombreux sont les ouvrages pour lesquels Salih Noussi détaille ses chaînes de transmission selon ses différents maîtres. Umm al- Zayn (née 1153/1739-40) qui fut l’élève de Muhammad Sa’id avant qu’il ne l’épouse lui enseigna également et fut l’une des autorités Mecquoises en matière de sciences religieuses à la fin du XVIIIe siècle.
Le lettré fuutanke suivit également les cours d’ Ibrahim b. Muhammad al- Hashimi, connu sous le nom de ‘al- Amir’ (m.1213/1799) qui naquit et grandit à Sanaa, capitale du Yémen et s’installa ensuite à La Mecque où il demeura jusqu’à sa mort. Il condamnait l’ acceptation aveugle de toute école juridique (maddhab) défendant l’adhésion (ittiba) sans recul à la Sunna. Ce point central de l’enseignement de Salih al-Fullani et du fameux lettré Yéménite Muhammad al-Shawkani (m.1250/1834) a rencontré un écho considérable au sein du mouvement Indien Ahl-i Hadith.
Muhammad b. Abd al-Karim al-Samman fut une autre sommité que fréquenta Salih Noussi ; ce lettré Médinois et grand sufi lui remit également une ijaza générale et l’initia à la branche de la tariqa (confrérie) Shadiliyya qui porte son nom.
· les confréries
Toutefois, nous ignorons les affiliations confrériques de Salih al-Fullani. Il est probable qu’il ait été initié à la Qadiriyya dans sa jeunesse en Afrique de l’Ouest mais l’arrivée de la Shadiliyya est postérieure au Fuuta Jaloo.
Elle fut vraisemblablement introduite dans la première moitié du XIXè s. par Shaykh Ali al-Sufi as-Sailawiyu, originaire de Karantagui (Labé) où il fit ses premières études. Selon Al hajj Abdourahmane Diallo, imam de Poyé (Lélouma) , le conseil de Famille des Seeleyaabe composé des grands Waliyaabe tels que Shaykh Bubakar Poti, Cerno Sadou Dalen et Cerno Mamadou Samba Mombeya et l’aurait ensuite chargé de se rendre au Maroc pour apprendre la prononciation correcte de certaines lettres du Coran.
C’est au cours de ce voyage qu’il s’initia auprès de son maître à Fès, Ali Soufi al- Fassi, dont il prit le nom en signe de dévotion. De retour au Fuuta, il propagea son wird en le transmettant notamment à Thierno Ismaïla Zawiya, construisit une mosquée à Kansa Gawol puis se rendit près de Timbo, dans le village de Daara où il mourut et repose.
Lors de son séjour dans la zawiya Nasiriyya, Salih Noussi a probablement été initié à certains secrets de cette sous branche (ta’ifa) de la Shadiliyya avant d’entrer en contact avec Shaykh al-Dardir qui l’affilia peut-être à la silisat de la tariqa Khalwatiyya. Il est certain que Salih al-Fullani avait de nombreuses affIliations sufi, qu’il mentionne dans une annexe à son ouvrage al-Thamar al-yani, dans lequel il détaille ses asnad-s.
Il semble avoir fait montre du même zèle pour récolter ces silsilat et ses asanid de livres de hadith-s et d’autres sciences islamiques en raison de la tradition qui veut que l’on obtienne la baraka d’ hommes de Dieu savants et érudits des générations précédentes en prenant une chaîne de transmission les comprenant – les asanid sufi étant les plus prisées. Al – Samman lui-même avait été initié à la Qadiriyya et à la Khalwatiyya avant de connaître la Shadiliyya.
4. le recensement d’un savoir encyclopédique
Jangaa Tawhiidi, nahawu e bayan’
lukha, figh’ha, Hadiise e suufi lusu
Jangaa Tafsiiru e bhaawo dhu’um
huuraa nabhidaa gandal e dewal
Oogirde Malal (1825), Fii Kuudhe Dewal, v. 306-307
Thierno Mamadou Samba Mombéya
En 1203/1788-9, alors âgé de trente-six ans, Salih al-Fullani considéra que son éducation était suffisante pour lui permettre de compiler un registre (thabt) des ouvrages qui lui avaient été transmis et de leurs différents asanid. Cet ouvrage est la version résumé d’un autre registre, plus long que l’on n’a pu dater.
Son antériorité peut se déduire du fait que l’un soit appelé ‘le grand registre’ alors que l’autre est connu sous le nom du ‘petit registre’ (al-thabt al-kabir et al-thabt al-saghir) mais également par la relation impliquée par les deux titres : l’un s’intitule al-Thamar al-Yani – ‘le fruit mur’, alors que l’autre, plus court, est appelé Qatf al-Thamar – ‘la cueillette du fruit’.
Cet ouvrage a été publié à Hyderabad (Pakistan) en 1328/1910 avec Ithaf al-akabir d’al- Shawkani et plusieurs autres œuvres semblables alors qu’il ne subsiste qu’un exemplaire à l’état de manuscrit de sa version plus longue conservé dans la bibliothèque royale de Rabat (Maroc).
La formation de Salih al-Fullani a été particulièrement soignée et complète, en particulier dans certaines disciplines. Son ‘petit registre’ est divisé en rubriques, contenant chacune une chaîne de transmission par ouvrage. Parfois, plusieurs asanid existent pour un ouvrage et souvent, après avoir ‘égrené’ la chaîne, il donne une liste d’autres ouvrages du même auteur transmis par ce dernier avec une chaîne identique. Certaines fois, il entend transmettre toute l’œuvre d’un auteur (jami musannafatihi) au moyen d’une chaîne.
La science du hadith occupe une grande place parmi ses études. Il débute par les nombreuses chaînes qu’il a pour le Muwatta de Malik, livre qu’il tient pour la ‘source première de quintessence’. Il poursuit avec des asanid du Sahih d’al- Bukhari –‘ la seconde source dans ce domaine’- et continue avec des ouvrages de hadith-s. Il avait étudié de nombreux commentaires des plus grand recueils de hadith-s : treize de Bukhari, huit de Muwatta et six de Muslim.
Il étudia également des ouvrages traitant des détails techniques de la transmission des hadith-s dans des ouvrages tels qu’ ‘Ulum al-hadith d’Ibn Salah, l’Alfiyya d’al- Iraqi, l’Isti’ab ainsi que d’autres écrits d’Ibn ‘Abd al-Barr, et les œuvres complètes du grand spécialiste des hadith-s du Xè siècle, al-Hakim al-Nisaburi.
En dépit de son opposition au ‘maddhabisme’, Salih Noussi mena une étude approfondie du droit malékite, en particulier des ouvrages suivants- cités à titre d’exemple : la Mudawwana de Sahnun, l’ ‘Utbiyya, le Tahdhib d’al-Baradhi’i, la Rissala d’Ibn Abi Zayd, les ouvrages d’Ibn Jallab et d’Averroès, le Mukhtasar d’Ibn Arafa et l’abrégé classique du Mukhtasar de Khalil avec les plus de vingt commentaires s’y rapportant.
Dans le champs du tafsir, mis à part les commentaires connus d’al-Baydawi, d’al-Zamakhshari, d’al-Razi et d’al- Qurtbi, il étudia également les ouvrages moins connus d’Ibn Juzzay, Ibn ‘Atiyya, al-Baghawi et al-Wahidi.
Pour ce qui concerne le tawhid, il avait étudié le Waraqat, l’Irshad et d’autres écrits de l’Imam al Haramayn al-Juwayni ainsi que les derniers ouvrages de vulgarisation religieuse à la mode dans le monde islamique occidental tels les trois ‘Credos’ d’al- Sanusi, le Jawharat al-tawhid d’al-Laqqani et l’Ida’at al- dujunna d’al-Maqqari ainsi que leurs commentaires.
Ses études dans le domaine des sciences du langage furent également approfondies. Voici un échantillon des ouvrages étudiés avec ses maîtres ; nous soulignerons qu’il acquit l’essentiel de ce savoir entre les mains d’ Ibn Sinna al-Fullani , ce qui témoigne du niveau de connaissances en arabe atteint en Sénégambie par les marabouts peuls du XVIIIe siècle .
En grammaire, il étudia le livre de Sibawayhi, le Jumal d’al –Zajjaji et le commentaires d’Ibn ‘Aqi sur l’Alfiyya et le Tashli d’Ibn Malik ainsi que le Mulhat al-‘irab d’al-Hariri. En lexicographie, il étudia le Kitab al-‘ayn d’al Khalil b. Ahmad, le Sihah d’al-Jawhari, le Lisan al-‘arab d’Ibn Manzur et le Qamus d’al- Firuzabadi. Il faut également intégrer à l’étude de la grande famille des sciences du langage le Maqamat d’al-Hariri et son Durrat al- ghawass, le Kamil d’al- Mubarrad, l’Amali d’al- Qali et le Talkhis al-miftah d’al -Qazwini.
Salih al-Fullani acquit également des lumières dans la Sira (vie du Prophète- psl), la logique, la prosodie et le soufisme, discipline dans laquelle il étudia l’ Hikam d’Ibn Ata’ Allah, l’Ahzab d’al-Shadhili, le Dala’il al-khayrat d’al-Jazuli et le grand Ihya d’al-Ghazali.
Il ne cite qu’un ouvrage d’histoire, al- Iqd al-thamin fi tarikh al-balad al-amin de Tqi al-Din al-Fasi, dont l’étude s’explique sans doute par son intérêt pour l’histoire de La Mecque et de ses lettrés.
5. l’enseignement
On ne sait quand Salih Noussi débuta l’enseignement : il avait vingt et un ans à son arrivée à Médine et trente-six quand il rédigea son ‘petit registre’. Il est possible qu’il ait commencé à enseigner alors qu’il continuait sa recherche du savoir, comme les savant musulmans ont coutume de le faire jusqu’à leur mort. On sait peu de chose de ces activités de professeur mais une liste de vingt quatre lettrés qui furent ses élèves est riche de renseignements.
La majorité d’entre eux sont des Mecquois et des Médinois des plus grandes familles, dont ‘Abd al-Hafiz al-’Ujaymi, cadi de La Mecque (m. 1820) ainsi que deux membres du clan de chérifs Jamal al-Layl (Muhammad Salih et Zayn al- Abidin), dont des lignages étaient établis sur le littoral d’Afrique orientale( les Cités- Etats Swahili). On peut peut-être mettre au nombre des lettrés Haramayn Muhammad al’ Abid al- Sindi (m.1257-1841), juriste Hanafi qui fut cadi de Zabid puis de Sanaa (Yémen) avant d‘être nommé chef des oulémas des Villes Saintes sous l’occupation Ottomane par le pacha Muhammad Ali en 1232/ 1816-17.
On comptait aussi trois élèves Syriens (dont al-Shams Abidin , mufti de Damas et Wajih al-Din al-Kuzbari (m.1846) dont le père avait enseigné Salih), un Egyptien, un Kurde, une Hanbalite et cinq ‘gens de l’Ouest’- par rapport aux Lieux Saints.
Cette catégorie comprend un Marocain, le grammairien Hamdun b. al Hajj al-Fasi (m.1857) , deux ‘Shinqitis’ (Maures) qui s’illustrèrent dans la diffusion de la tariqa Tijaniya Muhammad al- Hafiz 2 et ‘Abd al-Rahman al-Shinqiti (m.1224-1809-10) ainsi que deux Peuls, Muhammad b. Hashim et Muhammad b. Gordo dont on ne connaît pas l’origine exacte.
On ignore toutefois si ces derniers retournèrent en Afrique de l’Ouest et s’ils propagèrent son enseignement. Néanmoins, certaines des idées de Salih al-Fullani étaient connues en pays Haoussa au XVIII è s. : Ousmane dan Fodio (1754-1817) écrivit un petit pamphlet (Hidayat al-tullab) insistant contre le fait de suivre aveuglément une école juridique et rappelant la règle qui casse un jugement rendu en contradiction avec le texte (nass) du Coran ou des hadith-s.
Quant à al hajj Umar (1794-1864), il tint le même discours dans l’ouvrage fondamental de la Tijaniya, ‘Les Lances’ : Rimah hizb al-rahim ‘ala nuhur hizb al-rajim – écrit en 1261/1845 alors qu’il résidait à Diégounko (région de Kolen).
Les activités d’enseignement de Salih al-Fullani ont quelque peu éclipsé sa contribution à la littérature, que nous allons brosser à grands traits .
6. Quelques une des ses œuvres
· Iqaz himam uli’l absar li’l iqtida’ bi-sayyid al-muhaajirin wa’l ansar wa-tahdhirim ‘an al-ibtida al –sha’i fi ‘l-qura wa’l amsar min taqlid al-madhahib ma’ al-hamiyya wa’l- asabiyya bayn fuqaha al-a’sar : 2crit contre le ‘maddhabisme’, insistant sur la nécessité de l’ijtihad (effort de réflexion personnelle) dans le corpus de hadith-s.
· Manzuma : insiste sur la nécessité d’agi en conformité avec le Coran et la Sunna, même si les opinions de juristes diffèrent.
· Qatf al-thamar fi raf asanid al-musannafat fi’l –funun wa’l- athar : aussi appelé al-Thabat al-Saghir, recensement de ces asnad.
· al-Thamar al-yani fi raf turuq al-musalsalat wa’l-ajza wa’l jawami wa dhikr turuq al-tasawwuf wa-ma laha min al-tawabi : également connu sous le nom d’Ihya marasim al-asanid ou le Thabat al-Kabir
· Tuhfat al-akyas bi-ajwibat al-imam Khayr al-Din b.Ilyas: versification d’un texte d’al -Suyuti sur les lettres de l’alphabet, composé en réponse à des questions du mufti de Médine
7. Un marabout fuutanke vénéré par les Indiens
On ne sait pas précisément comment l’influence de Salih al- Fullani est passée en Inde à travers le mouvement de réforme religieuse Ahl-i Hadith ; on peut cependant supposer que certains lettrés Indiens qui furent ses élèves adoptèrent ensuite les idées de ce mouvement.
Le Hedjaz était alors le lieu cosmopolite où se rencontrait des représentants de toute la Oumma et en ces temps où les communications étaient ardues, les idées suivaient leurs cours le long des routes commerciales à travers le Sahara, l’océan Indien, les déserts asiatiques…
En revanche, il est certain que son œuvre Iqaz himan uli ‘l absar eut une grande influence en Inde où elle fut publiée pour la première fois; l’intérêt pour le karamoko de Noussi était tel dans ce pays que Qatf al-Thamar fut également publié en 138/1910-11.
‘Conclusion’
Voici ce que l’on peut dire au terme de ce parcours biographique sur la vie d’un lettré issu du Leydi di’e, dime, diina e dimaagu. Ce Fuuta Jaloo qui accueillit, forma et exporta des savants et dont l’exemple doit demeurer à jamais gravé dans la mémoire de nos contemporains.
Alpha Mamadou Lélouma
Cet article est dédié à Nennen Hadja Mariama Chérif Haïdara Sagalé (décédée à Labé le 12/03/2003) et à Nennen Hadja Kadiatou Barry Bantighel (décédée à Conakry le 23/03/2003) ‘’Yo Allah yaafo ɓe.
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