Les violences sexuelles sont une problématique importante en Guinée. Le pays est connu pour être le deuxième en Afrique à pratiquer le plus les mutilations génitales féminines.
Les mariages forcés y sont aussi très nombreux. Le viol est resté longtemps un sujet tabou et moins documenté, mais la parole se libère depuis quelques années, sous l’impulsion de femmes et d’organisations de la société civile.
Face à cette situation, Amnesty International a mené une recherche pour rendre compte du phénomène des viols en Guinée et analyser les réponses des autorités en matière de prévention, de protection des droits des victimes et de lutte contre l’impunité de ces crimes.
Cette enquête a été réalisée dans le cadre d’un projet conjoint avec la Fédération internationale pour la planification familiale (IPPF en anglais), et s’inscrit dans un travail engagé depuis plusieurs années par Amnesty International contre les violations des droits humains en
Guinée.
Ce rapport présenté devant la presse ce mardi 27 septembre, 2022 à Conakry, est le résultat de recherches menées dans quatre régions de la Guinée (région spéciale de Conakry ; Kindia ; Mamou ; Nzérékoré) entre le 23 octobre et le 7 novembre 2021, entre le 15 et le 29 janvier 2022, au cours des mois de février et mars 2022 ; et d’entretiens menés avec au moins 120 personnes :
des victimes de viol et membres de leurs familles, des représentants de la société civile, des autorités nationales, des autorités coutumières et des forces de défense et de sécurité, des avocats, magistrats, médecins ou personnels de santé, et des représentants diplomatiques et des agences des Nations unies.
En novembre 2021, la mort de M’mah Sylla, victime de viols, a choqué la Guinée. Les réseaux sociaux et les médias traditionnels ont disséminé l’information, des manifestations ont été organisées dans plusieurs villes pour dénoncer l’impunité des auteurs, et les plus hautes autorités de l’État ont appelé à l’accélération de l’enquête judiciaire.
Six ans plus tôt déjà, en 2015, « l’affaire Tamsir Touré » – un membre d’un groupe de rap accusé de viol – avait suscité la colère des organisations de défense des droits des femmes, et poussé les autorités à prendre des engagements en matière de lutte contre les violences sexuelles.
Entre temps les plaintes pour viol recensées par les forces de défense et de sécurité ont augmenté, mais il n’existe toujours pas de données globales permettant d’analyser l’ampleur des crimes commis, leurs causes et les moyens de lutter contre ceux-ci.
L’Observatoire national de lutte contre les violences basées sur le genre (VBG), structure censée notamment centraliser les données sur ces violences, se met tout juste en
place 10 ans après sa création officielle par arrêté. Les principales statistiques disponibles sont celles des deux unités en charge de la lutte contre les VBG au sein de la police et de la gendarmerie , celles de la médecine légale et celles collectées lors d’enquêtes nationales.
L’Office de protection du genre, de l’enfant et des mœurs (Oprogem, police) est passé de 125 dossiers de viols traités en 2018 à 398 en 2019, et le nombre cumulé de viols traités par l’Oprogem et la Brigade spéciale de protection des personnes vulnérables (BSPPV, gendarmerie) en 2021 a atteint plus de 400.
Au cours des trois premiers mois de l’année 2022, l’Oprogem a enregistré 117 cas de viols.
D’après les données disponibles, les victimes sont le plus souvent des filles mineures de moins de 18 ans. En 2020 plus de 75% des plaintes pour viol enregistrées par l’Oprogem concernaient des mineures et près de 70% des auteurs étaient majeurs.
Les données de la BSPPV montrent que 33% des viols et agressions sexuelles enregistrés en 2021 l’ont été sur des victimes de moins de 13 ans.
L’augmentation du nombre de plaintes auprès de la police et de la gendarmerie est la conséquence d’un début de « libération de la parole » accompagné par le dynamisme des organisations guinéennes de défense des droits des femmes, par l’action grandissante de l’Oprogem et de la BSPPV respectivement créés en 2009 et 2020, et par la publicité donnée à certaines condamnations.
Toutefois les différents acteurs qui travaillent sur la lutte contre les violences sexuelles estiment que les plaintes ne représentent très probablement qu’une infime partie du total des viols commis, tant le silence demeure la règle au sein de certaines familles, dans une société patriarcale où la coutume continue parfois d’outrepasser les lois de la République.
En 2021, le service de médecine légale du Centre hospitalier universitaire (CHU) Ignace Deen à Conakry a reçu 638 victimes de viol.
Une enquête conduite en 2016 par le ministère de l’Action sociale avait conclu que près de 29,3% des femmes ont subi au moins une fois des violences sexuelles depuis l’âge de 15 ans ; près de 20% ont été victimes de viol au moins une fois depuis l’âge de 15 ans dans plusieurs régions ; et près de 30% ont été victimes de viol conjugal au moins une fois depuis l’âge de 15 ans dans certaines régions.
Les gouvernements successifs entre 2015 et 2021 ont pris des mesures importantes pour lutter contre les violences sexuelles et notamment le viol. Le cadre juridique a été renforcé, des campagnes de sensibilisation ont été menées, des formations ont été données à des magistrats, juristes, policiers et gendarmes, la BSPPV a été créée au sein de la gendarmerie, une réforme judiciaire a permis d’accélérer le traitement des affaires criminelles.
En dépit de ces avancées, ce rapport présente les nombreux manquements aux obligations internationales de la Guinée en matière de prévention et de lutte contre le viol, de protection des droits des victimes et de lutte contre l’impunité.
S’agissant de la prévention, les campagnes de sensibilisation sont souvent dépendantes des initiatives prises par les agences des Nations unies, coopérations internationales et ONG.
D’après des témoignages de professeurs, les programmes d’enseignement et matériels pédagogiques favorisant l’égalité entre les femmes et les hommes, luttant contre les discriminations et les violences faites aux femmes et s’attaquant aux stéréotypes sexistes et de genre, ne sont pas suffisamment développés.
En matière de protection, contrairement aux recommandations des Lignes directrices de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples sur la lutte contre les violences sexuelles et leurs conséquences en Afrique, le pays ne dispose pas d’un numéro vert fiable pour le signalement des violences sexuelles et pour permettre aux victimes d’obtenir des premiers conseils et informations, notamment s’agissant des soins médicaux, du soutien psychologique ou du recours en justice.
La disponibilité, la qualité et l’accessibilité du système de santé doivent être renforcées pour les victimes, souvent de condition sociale modeste.
Le coût des soins médicaux est prohibitif pour de nombreuses victimes qui ne peuvent pas bénéficier de l’aide d’ONG.
Et alors que celles-ci ont besoin de services spécifiques qui doivent notamment comprendre des traitements pour les potentielles blessures liées aux violences sexuelles, des traitements pour les infections et autres maladies sexuellement transmissibles, l’accès à des tests de grossesse, à la contraception, à l’avortement médicalisé, les médecins spécialistes sont essentiellement présents dans la capitale Conakry, obligeant les victimes de ce pays de 13 millions d’habitants à s’en remettre à du personnel non formé.
En outre, les victimes peuvent rarement avoir recours à des psychologues, peu nombreux en Guinée.
Elles se retrouvent souvent dans une situation de détresse et d’isolement social, parfois contraintes de déménager ou de changer d’établissement scolaire pour mettre fin aux stigmatisations.
Les centres multi-services qui offrent plusieurs services de protection (soutien médical, psychologique et juridique) aux victimes sont en nombre insuffisant.
L’accès à la justice pour les victimes de viol est par ailleurs parsemé d’obstacles parfois infranchissables.
Il arrive que des autorités coutumières poussent à des règlements extrajudiciaires, contraires au droit. Certaines victimes qui portent plainte peuvent être ciblées par des menaces et des pressions, y compris au sein de leurs propres familles.
Les conditions d’accueil pour enregistrer une plainte et le manque de formation des policiers et gendarmes peuvent empêcher les victimes de partager leurs témoignages en toute confiance et intimité.
L’existence d’un certificat médico-légal conditionne souvent la transmission d’une plainte à la justice, rendant caduques les dénonciations tardives de violences sexuelles.
En outre, les victimes ont difficilement recours à la médecine légale en raison du manque de médecins spécialisés, pour l’essentiel installés à Conakry, et du coût de l’examen. Par ailleurs, les frais de justice et d’avocat peuvent empêcher certaines victimes de porter plainte si elles ne sont pas soutenues par des ONG, en l’absence d’un système d’assistance judiciaire effectif.
Enfin, à l’issue de procédures judiciaires qui peuvent être longues du fait de l’engorgement des tribunaux, les peines prononcées à l’issue des procès semblent parfois correspondre insuffisamment à la gravité des crimes commis.
La « charte de la transition » présentée le 27 septembre 2021 par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) qui a pris le pouvoir par un coup d’État en destituant le président Alpha Condé le 5 septembre 2021, a consacré comme missions « le renforcement de l’indépendance de la justice et la lutte contre l’impunité », ainsi que « la promotion des Droits de l’Homme et des libertés publiques ».
Ces missions doivent être réellement au cœur du travail des institutions de la transition et notamment du Conseil National de Transition (qui constitue l’organe législatif), censé « contribuer à la défense et à la promotion des Droits de l’Homme et des libertés publiques ».
Les autorités guinéennes doivent saisir l’importance de prévenir et lutter contre les viols et autres formes de violence sexuelle et de répondre aux droits des victimes en matière de soins, de santé sexuelle et reproductive, de soutien psychologique et de justice.
Ainsi, entre autres recommandations, Amnesty International appelle les autorités guinéennes à :
. Adopter une loi générale sur la violence à l’égard des femmes et ériger en infraction toutes ses formes, conformément au droit et standards internationaux ; Réviser la définition du viol dans le droit guinéen afin que celle-ci soit basée sur l’absence de consentement et non sur l’utilisation « de la violence, de la contrainte ou de la surprise », conformément au droit et standards internationaux ;
• Accélérer la mise en place effective de l’Observatoire national de lutte contre les violences basées sur le genre et lui donner les ressources et financements adéquats pour remplir sa mission, notamment la collecte et la publication de statistiques nationales fiables sur les violences basées sur le genre, ventilées par sexe, âge et autres caractéristiques pertinentes ;
• Veiller à ce que les victimes de violences sexuelles aient accès, en temps utile et sans obstacles financiers, à des soins médicaux et à des examens médico-légaux, à un soutien et à des conseils psychologiques, à une contraception d’urgence, à des conseils, à des tests et à une prophylaxie post-exposition au VIH, à un avortement sans risque et à des soins et un soutien en matière de santé maternelle ; Soutenir le développement de structures dans tout le pays permettant aux victimes de recevoir des soins médicaux complets dans le même établissement et promouvoir la formation et le déploiement dans tout le pays d’un nombre suffisant de personnel médical et de spécialistes médico-légaux formés à la gestion des cas de violence sexuelle;
• Renforcer les capacités du pouvoir judiciaire, de la police et des autres autorités chargées de l’application de la loi, ainsi que des travailleurs sociaux et sanitaires, et de tout autre fonctionnaire participant à la prévention et à la lutte contre les violences fondées sur le genre et la violence à l’égard des femmes, conformément au cadre juridique national ;
• Garantir le non-conditionnement de la réception et de la transmission des plaintes à la justice à la présentation d’un certificat médico-légal ou à une quelconque autre preuve de la perpétration d’une violence sexuelle ; Mettre en place une aide juridictionnelle qui garantisse aux plaignants les plus modestes la gratuité de l’ensemble de la procédure ; S’assurer que les peines prononcées correspondent à la gravité des crimes de violence sexuelle, et sont en conformité avec le code pénal ;
• Financer et mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation et d’éducation pour lutter contre les attitudes sociales et culturelles sous-jacentes qui discriminent les femmes et les filles et qui facilitent et perpétuent la violence à leur encontre. Ces campagnes devraient : promouvoir la tolérance zéro à l’égard de la violence à l’égard des femmes et des filles, démystifier les stéréotypes sexuels néfastes et les mythes associés au viol, éliminer la stigmatisation des femmes victimes de violence et encourager les victimes à demander réparation.
Les campagnes devraient inclure les dirigeants communautaires et religieux, les élus locaux, les médias et la société civile.
1. MÉTHODOLOGIE
Ce rapport est le fruit d’une collaboration avec IPPF, dans le cadre d’un projet conjoint IPPF – Amnesty International pour la lutte contre les violences sexuelles en Guinée. Il s’inscrit dans une continuité de recherches effectuées par Amnesty International depuis plusieurs années sur les droits humains et la lutte contre l’impunité en Guinée, et du travail mené par IPPF sur la protection des victimes de violences sexuelles.
Ce rapport est le résultat d’entretiens et de recherches menés en Guinée par des délégués d’Amnesty International entre le 23 octobre et le 7 novembre 2021, entre le 15 et le 29 janvier 2022, au cours des mois de février et mars 2022 ; et d’entretiens et de recherches menés à distance en 2021 et 2022. La période couverte s’étend de 2015 à mai 2022, à l’exception d’évocations récurrentes du massacre du 28 septembre 2009, événement majeur pour l’ampleur des violences sexuelles commises et l’impunité des crimes commis.
Des délégués d’Amnesty International se sont ainsi rendus dans quatre régions et huit localités du pays : Conakry dans la région spéciale de Conakry ; Dubréka et Kindia dans la région de Kindia ; Mamou dans la région de Mamou ; Nzérékoré, Lola, Gouécké et Diécké dans la région de Nzérékoré.
Les délégués se sont entretenus avec 15 victimes de viol ainsi que plusieurs membres de leurs familles ; 20 représentants de l’Oprogem et de la BSPPV ; plus de 10 représentants de différents ministères ; quatre autorités coutumières ; cinq avocats ; quatre magistrats ; trois régisseurs de prison ; 15 médecins ou personnels de santé ; le coordinateur résident de l’ONU et le représentant du Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU ; trois représentants de la délégation de l’Union européenne ; trois diplomates de l’ambassade de France dont l’ambassadeur ; plus de 15 journalistes et plus de 30 membres d’ONG et d’agences de coopération.
Plusieurs centaines d’articles de sites d’information ainsi que des communiqués et discours officiels ont par ailleurs alimenté le travail de recherche.
Au total, ce rapport repose donc sur des entretiens avec au moins 120 personnes. Conformément aux règles d’Amnesty International, l’anonymat de certains interlocuteurs a été préservé à leur demande ou après examen par l’organisation des potentiels risques encourus par ces personnes.
La grande majorité des témoignages de victimes collectés par les délègues d’Amnesty International l’ont été auprès d’adultes ou de parents lorsque la victime avait moins de 18 ans. Les entretiens ont été menés en prenant des précautions particulières pour assurer une approche centrée sur la personne et éviter tout retraumatisme.
Selon les souhaits des personnes interviewées, les entretiens ont été menés dans des endroits privés, en s’assurant qu’elles étaient à l’aise avec le cadre de l’entretien, qu’elles comprenaient et consentaient à l’objet de celui-ci et à la manière dont le témoignage pourrait être utilisé.
Après consultations avec des organisations locales, Amnesty International a mené des entretiens avec deux personnes mineures. Ces entretiens ont été menés par une femme, représentante d’Amnesty International, avec l’accord des représentants légaux et le consentement des personnes mineures et en présence d’une travailleuse sociale pour l’une des deux. Des précautions particulières ont été prises pour éviter toute re-traumatisme. Dans le cadre de ce rapport, Amnesty International utilise le terme « victime » et « survivante » de façon interchangeable pour désigner les personnes ayant subi un viol. Néanmoins, le terme « victime » est utilisé plus fréquemment, celui-ci étant plus largement utilisé en Guinée par les personnes concernées et les organisations locales qui luttent contre les violences sexuelles.
Le 9 mai 2022, Amnesty International a adressé aux autorités guinéennes un courrier pour leur présenter les principales conclusions de ce rapport, et solliciter un droit de réponse de leur part. Les 20 et 22 juillet, les
services de la Primature ont fait parvenir à l’organisation les réponses des différents ministères concernés. Les éléments apportés par ces derniers sont reflétés dans le rapport.
Par ailleurs, des demandes d’entretien ont été envoyées à différents ministères pour présenter la recherche à Conakry et recueillir leur retour avant la diffusion du rapport.
2. CONTEXTE
« La justice sera la boussole qui orientera chaque citoyen guinéen. »
Extrait du discours de Mamadi Doumbouya, alors président du CNRD, au Palais du peuple le 6 septembre 2021
2.1 LES VIOLENCES SEXUELLES EN GUINÉE
Comme l’indique un rapport des Nations unies de 2016 sur les violences sexuelles dans le pays, « les femmes en Guinée font l’objet de diverses formes de violence, de discrimination et d’injustice en raison de la persistance de préjugés socioculturels.
Les mariages forcés et précoces, les violences conjugales, ainsi que les violences sexuelles, constituent les formes les plus récurrentes de violence envers les filles et les femmes dans le pays. D’autres formes de discriminations se manifestent dans l’accès à l’éducation, aux moyens de production, au crédit, et aux postes de décision dans l’administration publique et les entreprises privées. »
La République de Guinée a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des Femmes (CEDAW) en 1982, et le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples sur les droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo) en 2012. Elle s’est dotée de certaines dispositions légales et de politiques et stratégies nationales touchant à la problématique des droits des femmes en général, celle des violences sexuelles et des violences basées sur le genre en particulier.
Ainsi en 2017, la Guinée s’est dotée d’une nouvelle Politique Nationale sur le Genre. En 2019, elle a adopté une stratégie nationale pour la promotion de l’abandon des mutilations génitales féminines et une loi sur la parité.
La même année, le nouveau code civil14 a enregistré certaines avancées en matière de droits des femmes comme la reconnaissance de l’autorité parentale aux deux parents et la possibilité pour les femmes de choisir leur profession sans avoir l’autorisation de leur mari.
Et en 2020, une nouvelle constitution a consacré la parité comme un objectif politique et social.
Néanmoins, malgré les efforts déployés sur le renforcement du cadre juridique, la mise en œuvre effective de ces mesures et réformes reste faible en raison de l’absence de mécanismes institutionnels, d’outils opérationnels fonctionnels et du défaut de sensibilisation et d’implication de la population.
Ceci s’explique en partie par les défis liés à la coexistence du système juridique avec des coutumes et pratiques traditionnelles et religieuses discriminatoires.
La pratique des mariages précoces et forcés est toujours une réalité, avec près de 60% des filles mariées avant 18 ans. Dans certaines régions du pays, comme la Haute Guinée, la Moyenne-Guinée et la Guinée Forestière, le taux de prévalence des mariages précoces est supérieur à 70% : près du double de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (37%).
De plus, 92% des femmes de 15 à 64 ans ont subi une forme quelconque de violence depuis l’âge de quinze ans, selon une enquête de 2016.
D’après les statistiques de l’UNICEF, malgré la législation en vigueur et les efforts de sensibilisation, la République de Guinée se tient au deuxième rang mondial après la Somalie concernant la prévalence des pratiques de MGF/E, avec 97 % des filles et femmes excisées.
Le Comité des droits de l’Homme des Nations unies et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels ont fait part respectivement en 2018 et 2020, dans leurs observations finales sur les rapports de l’État, de leurs vives préoccupations s’agissant du caractère largement répandu des violences sexuelles.
Parmi les violences sexuelles, le viol est resté longtemps un sujet tabou et moins documenté, mais la parole se libère depuis quelques années, sous l’impulsion de femmes et d’organisations de la société civile.
2.2 LE PAYS SOUS RÉGIME DE TRANSITION
La présente recherche s’inscrit dans un contexte politique troublé dont les problématiques en matière de droits humains font écho à celles liées à la lutte contre les violences sexuelles, comme l’étouffement de la contestation de l’autorité, la restriction des libertés d’expression et de réunion pacifique ou encore l’impunité des violations des droits humains.
Le 5 septembre 2021 le président de la République Alpha Condé, a été renversé par un coup d’État mené par des membres des forces spéciales de l’armée guinéenne, emmenées par le lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya.
Ces derniers vont créer par la suite le Conseil national du rassemblement pour le développement (CNRD) et instaurer un régime de transition.
Cet événement fait suite à une répression sévère menée par les autorités contre les membres ou sympathisants de l’opposition, et des membres de la société civile qui se sont exprimés ou ont manifesté contre le referendum constitutionnel du 22 mars 2020 et les résultats de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020 qui ont mené Alpha Condé à se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat. Des dizaines de sympathisants de l’opposition ont été tués par les forces de défense et de sécurité lors de manifestations, et de nombreux militants pro-démocratie, opposants politiques et sympathisants de l’opposition ont été détenus arbitrairement, comme l’a documenté Amnesty International.
Deux jours après le putsch du 5 septembre, plusieurs dizaines de ces détenus ont été libérés sur instruction du CNRD, dont Oumar Sylla, l’une des figures du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), en détention depuis le 29 septembre 2020, condamné en juin 2021 par la cour d’appel de Conakry à trois ans d’emprisonnement pour « communication et divulgation de fausses informations », et « menaces, notamment de violences ou de mort ».
Les Points d’Appui (PA) – des dispositifs militaires installés au cœur de la capitale depuis novembre 2018 – ont été levés.
Une charte de la transition a été dévoilée le 27 septembre 2021, présentant les institutions et les missions de la période de transition, parmi lesquelles « l’élaboration d’une nouvelle Constitution et son adoption par referendum », « l’organisation des élections locales et nationales libres, démocratiques et transparentes », « le renforcement de l’indépendance de la justice et la lutte contre l’impunité », et « la promotion et la protection des Droits de l’Homme et des libertés publiques ».
Un gouvernement civil a été formé entre le 6 octobre et le 4 novembre 2021, après que Mamadi Doumbouya a été investi président de la transition le 1er octobre 2021.
À la suite d’un sommet extraordinaire à Accra le 9 janvier 2022, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a décidé d’interdire de voyages les autorités de la transition ainsi que de geler leurs avoirs financiers, et de maintenir la suspension de la Guinée de tous ses organes directeurs.
Dans un communiqué conjoint, plusieurs organisations dont Amnesty International ont regretté que la suspension des procédures relatives aux violations des droits humains en Guinée devant la Cour de justice de la Cédéao empêche les victimes d’obtenir justice et réparation.
Le nouveau ministre de la Sécurité et de la protection civile a demandé aux policiers de rompre avec les pratiques observées jusqu’à présent dans le cadre du maintien de l’ordre, reconnaissant ainsi implicitement l’implication de ce corps dans les dizaines d’homicides illégaux commis lors de manifestations et d’émeutes ces dernières années.
Le 4 mai 2022 le procureur général de la cour d’appel de Conakry a annoncé le déclenchement de poursuites judiciaires contre l’ancien président Alpha Condé et 26 autres responsables de premier plan du régime déchu, pour divers faits présumés commis dans le contexte du double scrutin référendaire et présidentiel en 2020, parmi lesquels « des atteintes volontaires à la vie humaine notamment le meurtre, assassinat et complicité de meurtre et d’assassinat ».
Le 22 janvier 2022, la liste des 81 membres du Conseil national de transition (CNT) a été officialisée, avec à sa tête Dansa Kourouma. Le 22 mars se sont ouvertes des assises nationales autour des questions de réconciliation nationale et de justice transitionnelle, boycottés pas plusieurs partis politiques et organisations de la société civile.
Le 13 mai 2022, le CNRD a annoncé l’interdiction de « toutes manifestations sur la voie publique de nature à compromettre la quiétude sociale et l’exécution correcte des activités contenues dans le chronogramme, (…) pour l’instant jusqu’aux périodes de campagnes électorales ».
Auparavant, le ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation avait réitéré le 21 janvier l’interdiction des manifestations décidée le 11 septembre 2021 par le CNRD.
Le 13 mai 2022 également, le CNRD a « pris acte » de la proposition faite par le CNT d’une transition de trois ans.
À la date de publication de ce rapport, le gouvernement n’avait indiqué aucune date correspondant au début de ce compte à rebours.
3. LA GUINÉE FACE AUX CAS DE VIOL
« J’ai crié sur le docteur pour savoir la vérité car je savais que ce qu’il me disait n’était pas vrai. »
Mamadou Bhoye Sylla, père de M’mah Sylla, décédée le 20 novembre 2021 (voir ci-dessous).
3.1 DE LA LIBÉRATION DE LA PAROLE À L’INDIGNATION NATIONALE
3.1.1 2015 « LA GOUTTE D’EAU… »
Plusieurs organisations guinéennes de défense des droits des femmes considèrent la diffusion sur les réseaux sociaux en 2015 d’une vidéo montrant une jeune femme nue, menacée par un couteau tenu par
Tamsir Touré, alors chanteur populaire, comme « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », un « élément déclencheur » dans la mobilisation contre les violences sexuelles dans le pays. Une manifestation de protestation avait été organisée le 4 novembre 2015, et l’auteur présumé du viol avait été arrêté en Côte d’Ivoire, rapatrié en Guinée et incarcéré avant d’être libéré provisoirement en août 2016, après que sa défense a présenté une demande de remise en liberté provisoire pour raisons de santé.
Dans les pas d’organisations de défense des droits des femmes existantes comme Touche pas à ma sœur ou Femmes, développement et droits humains en Guinée (F2DHG), d’autres organisations sont nées, consacrées à la lutte contre les violences sexuelles ou à des thématiques connexes, comme Amali créée en 2014, et Mon Enfant, Ma Vie créée en 2019 « pour promouvoir une prise en charge humanisée des femmes enceintes pendant la grossesse et l’accouchement ».
Unique par la jeunesse de ses militantes et son implantation dans tout le pays, le Club des Jeunes filles leaders de Guinée (CDJFL-Guinée), créé en février
2016, a acquis une renommée nationale et internationale, portée notamment par la médiatisation de ses représentantes.
Cette dynamique collective a conduit à des interpellations régulières des autorités.
En 2015 lors de l’affaire Tamsir Touré, la mobilisation avait poussé le ministre de la Justice et la ministre de l’Action sociale32 à réagir publiquement. En 2019 à la suite d’un viol collectif sur une femme par des militaires à Siguiri, un sitin avait été organisé devant le ministère de la Défense par plusieurs organisations, finalement reçues par la Direction de l’information et des relations publiques des armées (DIRPA).
La même année, le 27 juin, une marche avait été organisée pour dénoncer les viols sur enfants,34 à la suite de laquelle un mémorandum présentant les préoccupations et recommandations des participants avait été déposé au ministère de la Justice.
En octobre 2020 les Amazones de la presse guinéenne, un collectif de femmes journalistes, ont interpellé par écrit les députés au sujet des viols sur mineures en formulant plusieurs recommandations.
Cette « libération de la parole » ajoutée à des récits particulièrement choquants et à l’impunité notoire pour certains de ces crimes, a par ailleurs attiré l’attention de médias internationaux sur la problématique des violences sexuelles en Guinée.
DÉFINITION DES VIOLENCES SEXUELLES ET DU VIOL
Les Lignes directrices de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples pour lutter contre les violences sexuelles et leurs conséquences en Afrique39 (en abrégé, « les Lignes directrices de la CADHP ») définissent les violences sexuelles comme « tout acte de nature sexuelle non consenti, la menace ou la tentative de cet acte, ou le fait de contraindre autrui à se livrer à un tel acte sur une tierce personne ». Elles prennent de multiples formes.
Les Lignes directrices en listent 18, parmi lesquelles le viol (y compris conjugal), la tentative de viol, le harcèlement sexuel, l’agression sexuelle, le mariage forcé, l’avortement forcé et les MGF.
Les Lignes directrices définissent le viol comme « une pénétration du vagin, de l’anus ou de la bouche par tout objet ou partie du corps ».
Le code pénal guinéen définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte ou surprise ».40
Selon le Manuel de législation sur la violence à l’égard des femmes élaboré par ONU Femmes, la définition de la violence sexuelle devrait « supprimer l’exigence selon laquelle l’attaque sexuelle doit avoir été commise de force ou par la violence et la pénétration être prouvée ».41
Amnesty International appelle les autorités guinéennes à réviser la définition du viol dans le code pénal afin qu’elle soit basée sur l’absence de consentement et non sur l’utilisation de la violence, de la contrainte ou de la surprise, et de se conformer ainsi aux droit et standards internationaux en la matière.
3.1.2 2021 : LA MORT DE M’MAH SYLLA, UN TOURNANT ?
Six ans après l’affaire Tamsir Touré, 2021 a connu de nouvelles mobilisations d’ampleur contre les violences sexuelles. Trois mois après le viol d’une fille de 12 ans en janvier à Nzérékoré, des organisations de la société civile, y compris des associations de défense des droits des femmes, ont dénoncé la lenteur de la justice.
42 La mort de M’mah Sylla le 20 novembre après plusieurs semaines de souffrances a par ailleurs suscité une indignation nationale à l’origine d’une implication du chef de l’Etat et du gouvernement.
Violée à plusieurs reprises dans des cliniques non agréées de Conakry, puis victimes d’opérations pratiquée dans des conditions médicales indignes, la jeune femme est décédée le 20 novembre 2021 (voir partie 4.1.2).
Le premier ministre43 et le ministère de la Justice44 ont alors réagi publiquement et des mobilisations ont été organisées par des organisations de la société civile en novembre et décembre 2021 à Labé,45 Kindia,46 Nzérékoré et Dabola (région de Faranah) pour dénoncer les violences sexuelles.
Dans ce contexte de protestation, plusieurs cas de viols et d’agressions sexuelles touchant des filles et femmes ont été rendus publics fin 2021. Le 30 novembre une fille de trois ans a été violée à BatèNafadji (région de Kankan). Le 27, dans la sous-préfecture de Sannoun (région de Labé) une fille de 13 ans a été violée par plusieurs personnes.
Le 26 novembre une fille de 3 ans a été violée et tuée à Labé. Une autre fille de 12 ans est morte lors d’un viol à Siguiri le 26 novembre. Le même jour une fille de 16 ans a été violée par plusieurs hommes à Kankan.
Les autorités ont réagi à nouveau face à ces cas tragiques et à la mobilisation de la société civile.
Le 15 décembre 2021 le premier ministre a signé un « engagement écrit pour mettre fin aux violences basées sur
42 Mosaiqueguinee, Viol collectif à N’Zérékoré : des femmes menacent de descendre dans la rue, mosaiqueguinee.com/viol-collectif-anzerekore-des-femmes-menacent-de-descendre-dans-la-rue/
43 « Communiqué du gouvernement relatif au décès de Madame M’mah Sylla », 21 novembre 2021.
44 Communiqué du parquet du tribunal de première instance de Mafanco, 29 novembre 2021.
45 Guineematin.com, Décès de M’Mah Sylla : manifestation des femmes à Labé pour réclamer justice, 22 novembre 2021.
46 Actualitefeminine.com, Kindia : des femmes activistes réclament justice pour M’Mah Sylla, actualitefeminine.com/2021/11/25/kindia-des-femmes-activistes-reclament-justice-pour-mmah-sylla/
À gauche, mobilisation devant le ministère de la Défense le 12 décembre 2019. À droite, mobilisation à Nzérékoré le 30 novembre 2021 à la suite de la mort de
M’Mah Sylla © Agir pour le Droit Féminin, ©
le genre (VBG), notamment les viols ». Ce document a aussi fixé un objectif de réduction de 10% du taux de MGF. Le ministre de la Sécurité s’est engagé à ce que « la police lutte efficacement contre ce fléau et que les peines les plus lourdes soient appliquées à ces criminels qui mènent ces actions » .
Enfin le 13 janvier 2022 un mémorandum rédigé par six ONG nationales réunies au sein du Collectif de femmes contre les violences sexuelles et obstétricales – a été remis au premier ministre, « pour demander aux autorités d’intensifier la lutte contre les violences basées sur le genre et l’application inconditionnelle de la loi pour punir ces crimes que sont les viols ainsi que les pratiques néfastes médicales dans notre pays ».
Le premier ministre a assuré à cette occasion que « vous ne trouverez aucune barrière de notre côté, nous sommes prêts à vous écouter et vous accompagner ».
3.2 DITS ET NON-DITS DES DONNÉES
L’existence de données et statistiques complètes et fiables sur les violences sexuelles et les viols en particulier est essentielle, non seulement pour comprendre leur ampleur mais également pour analyser leurs causes, savoir où elles sont commises, qui sont les victimes et quels sont les moyens de lutter contre ce phénomène.
De telles données officielles globales s’agissant des viols n’existent pas en Guinée. L’Observatoire national de lutte contre les violences basées sur le genre, créé en 2011 par arrêté59 et dont l’un des mandats est de centraliser les données sur les VBG, n’a toujours pas démarré ses activités de manière effective malgré la mise en place de son organe décisionnel et l’élaboration de son plan d’action.
Les données disponibles sont celles recueillies par des acteurs qui travaillent sur cette problématique. Mais fragmentées ou imprécises, elles ne permettent pas de renseigner les informations utiles permettant d’analyser et de lutter contre ce phénomène. La répartition qui suit donne un aperçu des données dont disposent ces différents acteurs.
ENQUÊTES NATIONALES
Le ministère de l’Action sociale a réalisé deux enquêtes sur les violences basées sur le genre, en 2009 et 2016, avec l’appui des Nations unies. Les données recueillies témoignent de l’ampleur de ces violences et notamment du viol.
Selon l’enquête de 2016 réalisée auprès d’un échantillon de 1 600 femmes de 15 à 64 ans, plus de 15,4% des femmes interrogées dans la région de Conakry ont déclaré avoir subi au moins une fois un viol depuis l’âge de 15 ans ; 18,8% dans la région de Kindia ; 19,2% dans la région de Faranah et 20% dans la région de Nzérékoré.
Jusqu’à 29,2% (région de Mamou) ont déclaré avoir subi au moins une fois un viol conjugal depuis l’âge de 15 ans. L’enquête conduite en 2009 avait conclu que 49,7% des femmes interrogées ont subi des violences sexuelles, dont 23,4% de viols.
DONNÉES DE L’OPROGEM ET DE LA BSPPV
L’Office de protection du genre, de l’enfant et des mœurs (Oprogem) créé en décembre 2009 au sein de la police, et la Brigade spéciale de protection des personnes vulnérables (BSPPV) créée le 29 janvier 2020 au sein de la gendarmerie, sont les deux services chargés de recueillir les plaintes pour viol.
Les données dont disposent l’Oprogem et la BSPPV correspondent aux plaintes enregistrées. Elles montrent une nette augmentation des viols déclarés à ces unités.
Pour les trois années cumulées 2013, 2014 et 2015, 281 viols ont été enregistrés par l’Oprogem. Pour les deux années cumulées 2016 et 2017, 355 viols ont été enregistrés. Puis 116 cas ont été enregistrés en 2018, 393 en 2019, 374 en 2020 et 199 entre le 1er janvier et le 30 septembre 2021.
Créée en 2020, la BSPPV a traité 204 plaintes en 2021 pour « viol et agressions sexuelle ». Cette dernière catégorisation générale ne permet pas de dénombrer clairement le nombre de violences sexuelles par catégories.
Les données fournies à Amnesty International par l’Oprogem sur l’âge et le sexe des victimes et des auteurs sur la base des plaintes ne sont disponibles que pour les années les plus récentes. Ces dernières présentent néanmoins de façon nette une prévalence très majoritaire des viols commis sur des filles mineures de moins de 18 ans par des hommes majeurs.
En 2020 plus de 75% des victimes étaient des mineures et près de 70% des auteurs étaient majeurs ; en 2019, 75% des victimes étaient des mineures et près de 65% des auteurs étaient des hommes majeurs. Les données de la BSPPV pour 2021 montrent que 33% des viols et agressions sexuelles enregistrés cette année l’ont été sur des victimes de moins de 13 ans.
Les données de l’Oprogem et de la BSPPV fondées sur les plaintes recueillies ne correspondent qu’à une partie du nombre de viols commis chaque année en Guinée.
Plusieurs enquêtes démontrent la faible part des violences sexuelles signalées aux forces de sécurité, sans toutefois être spécifiques sur les différentes catégories de violences ce qui limite leur interprétation. Selon l’enquête nationale de 2016, seulement 24% des femmes interrogées ont parlé à quelqu’un après la dernière violence basée sur le genre subie, et seulement 5,1% ont porté plainte. Une autre enquête publiée par l’ONG Femmes développement et droits humains (F2DH) en juin 2021 sur les violences faites aux femmes en période de Covid-19 auprès d’un échantillon de 792 personnes dont 600 femmes, a conclu que 66% des personnes s’abstiennent généralement de porter plainte.
Les principales raisons évoquées pour justifier ce choix sont la croyance que « ce n’est pas nécessaire/ il n’y aura pas de suite favorable » (52%), la méconnaissance de la possibilité de porter plainte dans ces situations (23%), et la peur d’autres violences (19%).
La majorité des interlocuteurs rencontrés par Amnesty International considèrent néanmoins que cette situation a évolué avec la « libération de la parole » constatée ces dernières années, dont l’une des conséquences les plus visibles est la nette augmentation du nombre de plaintes reçues par l’Oprogem notamment. Selon Marie Gomez, directrice générale de l’Oprogem, « ce n’est pas qu’il y a beaucoup plus de viols, mais c’est qu’il y a beaucoup plus de dénonciations.
Avant, le viol était considéré comme un sujet tabou. Aujourd’hui, le tabou se brise. »
DONNÉES DE LA MÉDECINE LÉGALE
Les données des différents services de médecine qui accueillent les victimes rapportant des cas de viols ne sont pas centralisées. Certains des services de médecine légale – qui existent uniquement à Conakry – donnent des statistiques.
Les personnes victimes de violences sexuelles qui consultent la médecine légale ne portent pas forcément plainte à l’Oprogem et à la BSPPV. « Les victimes peuvent venir d’autres services hospitaliers, ou d’unités de la police et de la gendarmerie autres que l’Oprogem et la BSPPV.
Il peut aussi arriver que des victimes – souvent adultes – viennent nous voir pour obtenir la preuve d’un viol ou d’une agression sexuelle à travers un certificat médico-légal, sans pour autant porter plainte », a déclaré à Amnesty International Thierno Mamadou Chérif Diallo, médecin légiste au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Donka, dans la capitale Conakry.
Pour l’année 2021, le service de médecine légale du CHU Ignace Deen a enregistré un total de 638 « cas d’agressions sexuelles » dont 490 sur des mineures âgées de 15 ans ou moins, 148 sur des personnes âgées de 16 à 30 ans et deux sur des personnes âgées de 31 à 45 ans (soit plus de 76% de victimes de moins de 15 ans).
Ces données ont été confirmées à Amnesty International par Hassane Bah, chef de ce service, qui a par ailleurs précisé que la terminologie utilisée correspond uniquement à des viols. En comparaison ce service avait en 2017 recensé 360 cas d’agressions sexuelles.74 Au CHU de Donka il a été enregistré 23 cas d’« agressions sexuelles » depuis le début de l’année 2022. À l’hôpital régional de
Conakry, le médecin légiste Namandian Traoré a rapporté à Amnesty International 16 cas de viols entre le 22 mars et le 18 mai 2022.
DONNÉES DE LA JUSTICE
À la connaissance d’Amnesty International il n’existe pas de données centralisées permettant de connaitre d’une part le nombre de jugements rendus dans des affaires de viol par année et par tribunal, d’autre part le nombre de détenus condamnés pour les mêmes raisons.
À défaut, l’organisation a pu rassembler des informations parcellaires issues d’entretiens ou de comptesrendus de médias, qui donnent une indication de la proportion que représentent les affaires de viol au sein de certains tribunaux pour certaines sessions criminelles.
Ces informations ne peuvent donner lieu à des interprétations plus globale. Ainsi lors des audiences criminelles à Siguiri (région de Kankan) en mai 2022, 41 des 90 affaires à juger concernaient des viols ou des tentatives de viols (soit 45%). A Yomou (région de Nzérékoré) en mai 2022, sept des neuf affaires concernaient des viols sur mineurs (soit 77%).78 A Labé en octobre 2021, cinq dossiers sur 16 concernaient des cas de viol (soit 31,25%).
À Kindia 43 des 130 décisions rendues entre le 6 mars 2017 date de la première audience criminelle de la juridiction – et le 14 février 2019 concernaient des viols sur mineures (soit 33,08%), loin devant les coups et blessures volontaires (14) et les meurtres (13).
À Kissidougou, (région de Nzérékoré) quatre des 15 affaires examinées à partir du 20 février 2019 étaient des viols sur mineures (soit 26,67%). À Kankan lors des audiences criminelles démarrées en février 2019 , le ratio était de 28,57% (deux affaires de viol sur sept dossiers).
Au sein des prisons, celle de Mamou comptait lors de la visite des délégués d’Amnesty International 32 personnes détenues (26 condamnés et six prévenus) pour des affaires de violences sexuelles, sur un total de 166 détenus (soit 19,28%) ; celle de Kindia dénombrait 28 détenus pour viol (dont 5 prévenus) sur un total de 353 détenus (soit 7,93%).
3.3 L’ENVIRONNEMENT SOCIAL ET LE VIOL
L’absence de données complètes et fiables sur la problématique du viol est également préjudiciable à l’analyse des auteurs de ces violences, élément pourtant essentiel à la lutte contre celles-ci.
Selon l’enquête nationale réalisée en 2016 qui concerne les VBG en général et non le phénomène de viol en particulier, « ces violences sont « généralement perpétrées par les conjoints, les partenaires, les membres de la famille, les employeurs, les enseignants, le corps médical, les forces de l’ordre. »
En l’absence de données complètes et fiables, il ressort des témoignages recueillis par notre organisation et des profils rapportés par l’Oprogem, la BSPPV et les ONG qui travaillent sur la problématique des violences sexuelles que la cellule familiale et le voisinage constituent le principal environnement du viol, mais aussi les personnes ayant une position élevée d’autorité morale et/ou sociale.
« LE BOURREAU N’EST JAMAIS LOIN » : CELLULE FAMILIALE, FAMILLE D’ACCUEIL ET VOISINAGE
D’après les témoignages recueillis par Amnesty International, qu’ils soient commis par des parents plus ou moins éloignés, des tuteurs, des voisins ou des riverains, les viols se produisent souvent au sein de la cellule familiale et du voisinage.
« Le bourreau n’est jamais loin », explique le capitaine Idrissa Keita, chef de section de l’Oprogem au commissariat central de Dixinn (Conakry).85 Le constat est le même à la BSPPV : « Le violeur n’est pas loin. Le plus souvent c’est un membre de la famille ou un voisin ». Des magistrats constatent eux-aussi que « le plus souvent ce sont des cas qui se passent dans la famille : l’oncle sur la nièce, le cousin sur sa cousine, un voisin qui fait souvent des faveurs à la famille… ».
Les filles souvent mineures employées comme domestiques dans des familles sont particulièrement exposées aux viols. Asmaou Bah Doukouré, secrétaire général du Syndicat national des employées de maison de Guinée (SYNEM), explique qu’il n’y a pas de données sur le sujet. Elle estime néanmoins qu’« il y a de la violence physique, morale ou sexuelle dans presque tous les ménages où il y a des travailleurs domestiques ».
En 2019 le Comité des droits de l’enfant notait au sujet de la Guinée qu’« un grand nombre de filles, y compris celles qui sont employées comme domestiques, continuent de subir des violences fondées sur le genre, y compris des viols, tant dans l’espace public qu’à l’intérieur du foyer ».
L’ONG Humanitaire pour la protection de la femme et de l’enfant (HuProFE) constate également que « les jeunes filles issues des familles vulnérables ou orphelines qui vivent dans des familles d’accueil sont de plus en plus exposées à des actes de violences. » Le « confiage » est une pratique courante en Guinée et en Afrique de l’Ouest, qui consiste à confier un enfant à d’autres membres de la famille, à des amis, voire à de simples connaissances ou même à des étrangers.
FORCES DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ
L’enquête de 2016 du ministère de l’Action sociale mentionne les « forces de l’ordre » parmi les personnes par qui les violences contre les femmes en général sont « généralement perpétrées ».
S’agissant de l’implication de membres des forces de défense et de sécurité dans des cas de viol, l’avocate Halimatou Camara92 renvoie au massacre du 28 septembre 2009 où plus d’une centaine de femmes ont été victimes de violences sexuelles commises par ces derniers lors d’une manifestation pacifique.
Par ailleurs, de fréquents comptes-rendus de viols ou agressions sexuelles commis par des hommes en uniforme sont attestés par des témoignages ou relatés par des sites d’information.
Adrien Tossa, coordinateur national de l’ONG Mêmes droits pour tous, a relaté à Amnesty International une tentative de viol sur mineure commise en avril 2021 par un militaire dans la capitale Conakry.
« Il y a l’histoire tristement célèbre d’un béret rouge en uniforme qui a croisé un matin à Dixinn une fille mineure qui partait à l’école. Il était en voiture avec vitres teintées. Il s’est arrêté à son niveau et lui a proposé de monter, et elle est montée.
L’homme s’est garé à un endroit où l’affluence était plus faible, il a sorti une arme et l’a menacée de mort pour qu’elle se déshabille. Elle l’a fait mais elle s’est mise à crier au moment où deux jeunes garçons passaient. Les deux jeunes ont entendu les cris et ont donné des coups sur la voiture.
Le militaire a alors démarré et foncé vers Bellevue mais il s’est retrouvé dans un embouteillage. Les jeunes ont pris des motos pour le poursuivre, ils ont créé l’incident et d’autres bérets rouges qui étaient à proximité ont accouru et l’ont arrêté. »
ENSEIGNANTS ET RELIGIEUX
En position d’autorité morale et/ou sociale, et en contact avec des jeunes, les enseignants, maitres coraniques, imams et prêtres sont également impliqués dans des affaires de viols comme le confirment des témoignages recueillis par Amnesty International et des affaires judiciaires.
Parmi les affaires judiciaires les plus récentes, en juillet 2021 à Mamou un « enseignant de profession et muezzin » a été condamné à 10 ans de prison pour viol sur une élève.
En 2019, un maitre coranique a été jugé pour le viol d’un garçon à Sonfonia (Conakry). Le 8 octobre 2019 un maitre coranique a été condamné à 10 ans de prison pour avoir violé deux élèves en 2018.
En 2022 une affaire a été particulièrement médiatisée, celle du viol présumé d’une fille mineure par l’imam d’une mosquée de Yimbayah (Conakry). Amnesty International a recueilli le témoignage de la mère de la fille :
« C’était au mois de carême.
Ma fille me disait souvent qu’elle voulait aller lire le coran. Alors pendant un mois elle est allée à la mosquée. L’imam l’appelait chaque fois sur le numéro de la bonne pour dire à ma fille de partir à la mosquée. C’est comme ça qu’il a abusé d’elle dans la mosquée (…) Quand ma fille s’est déshabillée devant moi, j’ai vu qu’elle n’était plus vierge.
Nous sommes parties voir mon gynécologue. Un test de grossesse a été fait et c’était positif (…) Je lui ai demandé qui l’a enceintée, elle m’a dit que c’est l’imam qui lui enseigne le coran. J’étais choquée. Au début je n’y ai pas cru. »
MEMBRES DU CORPS MÉDICAL ET TRADIPRATICIENS
Le cas de M’mah Sylla (voir ci-dessous) a mis en lumière l’existence de viols et agressions sexuelles commis par des membres du corps médical ou des tradipraticiens.
Le 13 janvier 2022, un médecin au service pédiatrique de l’hôpital préfectoral de Lélouma (région de Labé) a été condamné pour « atteinte sexuelle ». Le 25 novembre 2021 à Kamsar (région de Boké) une femme aurait été violée sous anesthésie dans un hôpital où elle s’était rendue pour une intervention chirurgicale.
La direction de l’hôpital a annoncé le 28 novembre avoir « interpellé le présumé coupable », un prestataire de service externe, et l’avoir conduit à la gendarmerie.
M’MAH SYLLA DÉCÉDÉE APRÈS SEPT OPÉRATIO
Le 12 octobre 2021, l’ONG Mon Enfant, Ma Vie a publié sur sa page Facebook une vidéo dans laquelle est fait le récit de l’histoire de M’mah Sylla.
Amnesty International restitue ce récit à partir d’extraits de cette vidéo et de l’entretien avec le père de M’mah Sylla, rencontré par des délégués de l’organisation.
À la clinique non agréée du quartier de Enta (Conakry) où M’mah Sylla s’était rendue, le « médecin » lui a injecté une substance qui lui a fait perdre connaissance. « Elle s’est réveillée quelques heures plus tard, couchée dans une chambre, et nue. » Persuadée d’avoir été violée, M’mah Sylla est retournée deux fois dans cette clinique pour obliger le « médecin » à lui faire un test de grossesse. Après un second test positif, « l’homme n’a alors pas nié, et s’est dit prêt à assumer la grossesse et l’enfant, avant de l’envoyer chez un confrère pour faire une échographie ».
Ce confrère l’a lui aussi endormie et violée. M’mah Sylla s’est ensuite vu expliquer qu’elle n’était pas enceinte, mais qu’elle avait un kyste dans le ventre qu’il était urgent d’opérer. Un troisième « médecin » l’a alors opéré dans des conditions médicales indignes, moyennement paiement. M’mah Sylla s’est réveillée « avec le ventre déchiré de gauche à droite.
Elle a fait une fistule obstétricale. De retour chez elle, M’mah Sylla a dit à son père ce qu’il s’était passé. Ce dernier s’est rendu chez les « médecins », qui ont amené sa fille dans une autre clinique à Dabompa
(Conakry).
Elle y a subi trois opérations qui n’ont pas marché. Elle a été emmenée à l’hôpital Ignace
Deen, où un paiement a encore été demandé pour une quatrième opération. »
M’mah Sylla a été évacuée en Tunisie grâce à l’intervention directe du chef de l’État, qui s’était rendu le 15 octobre 2021 à son chevet à l’hôpital Ignace Deen. Le 20 novembre 2021, la nouvelle de son décès après une 7e opération s’est rapidement propagée.
Le lendemain le premier ministre a annoncé via un communiqué102 que le gouvernement « a instruit Mme la ministre de la Justice Garde des Sceaux à prendre toutes les mesures urgentes afin d’accélérer l’enquête en cours pour que les coupables répondent de leur forfaiture ».
103 Le ministère de la Justice a aussi réagi publiquement, en informant notamment du placement en détention provisoire de trois des auteurs présumés à la maison centrale de Conakry depuis le 14 octobre, pour des faits de « viol, avortement, administration de substances nuisibles, risque causé à autrui et complicité ».
Lors d’une conférence de presse le 21 mai 2022, plusieurs ONG de défense des droits des femmes ont lu une déclaration pour dénoncer le « dysfonctionnement de l’appareil judiciaire dans le traitement des violences faites aux femmes ». Elles ont notamment regretté qu’« en l’espace de huit mois d’investigation (dans l’affaire de M’mah Sylla), le magistrat instructeur a été changé quatre fois », alors que « l’État guinéen s’était engagé à faire juger rapidement cette affaire ».
3.4 OBLIGATIONS INTERNATIONALES DE LA GUINÉE
La lutte contre les violences sexuelles et leurs conséquences est régie par divers instruments internationaux des droits humains contraignants ratifiés par la Guinée. À l’échelle mondiale les principaux sont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ratifié par la Guinée en 1978) ; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1978), qui protège notamment le droit à la santé dans son article 12 ; la Convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants (1989) ; la Convention relative aux droits de l’enfant (1990), qui protège les enfants contre toute forme de violence y compris les violences sexuelles.
La Guinée est également partie depuis 1982 à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Convention CEDEF). Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (ci-après « Comité CEDEF») a interprété plusieurs dispositions de la Convention touchant à la problématique des violences sexuelles, notamment via ses recommandations générales sur les violences à l’égard des femmes (recommandation générale n° 12 en 1989, recommandation générale n° 19 en 1992 actualisée par la recommandation générale n° 35) ; sur la santé des femmes (recommandation générale n° 24 en 1999) ; et sur l’accès des femmes à la justice (recommandation générale n° 33).
La Guinée, n’a en revanche toujours pas adhéré au Protocole facultatif de la Convention CEDEF, qui permet notamment aux particuliers de saisir le Comité CEDEF en cas de violations de leurs droits une fois tous les recours nationaux épuisés.
Le Comité CEDEF a examiné à trois reprises la Guinée, en 2001, 2007 et 2014. Il a notamment recommandé à l’État partie en 2014 d’adopter une loi générale sur la violence à l’égard des femmes et d’ériger en infraction, conformément au droit international, toutes ses formes, notamment la violence familiale, le viol conjugal et le harcèlement sexuel. Le rapport de la Guinée au Comité CEDEF, attendu le 1er novembre 2018, n’avait toujours pas été soumis à la date de publication de ce rapport. Par ailleurs le 21 septembre 2017 le Rapporteur du Comité avait écrit aux autorités guinéennes afin qu’elles fournissent à ce dernier des informations attendues en novembre 2016 sur les mesures prises pour faire appliquer ses précédentes recommandations.
À l’échelle continentale, la Guinée a ratifié la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (la
Charte),113 adoptée en 1981, qui garantit notamment le principe de non-discrimination, le droit à l’égalité
devant la loi et à l’égale protection de la loi, le droit à ce que sa cause soit entendue devant les juridictions nationales compétentes, le droit à l’intégrité physique et morale.
« La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit. »
Article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, ratifiée par la Guinée en 1999, appelle les États parties à protéger les enfants contre les abus et les mauvais traitements, à abolir les coutumes et pratiques culturelles et sociales négatives, et à protéger les enfants contre toute forme d’exploitation sexuelle.
La Guinée a également ratifié en 2012 le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (dit « Protocole de Maputo »), qui oblige les États parties à garantir le droit à la dignité, le droit à la vie et à l’intégrité physique et l’élimination des pratiques néfastes.
Le Protocole engage les États parties à l’adoption de mesures spécifiques pour lutter contre les violences à l’égard des femmes.
« Les États s’engagent à adopter toutes autres mesures législatives, administratives, sociales, économiques et autres en vue de prévenir, de réprimer et d’éradiquer toute forme de violence à l’égard des femmes. »
Article 4.2.b du Protocole de Maputo.
La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) a par ailleurs adopté des résolutions thématiques, comme la Résolution 110 sur le droit à la santé et sur les droits reproductifs des femmes (2007), et la Résolution 111 sur le droit à un recours et à réparation pour les femmes et les filles victimes de violences sexuelles (2007).
Enfin, la CADHP a adopté en 2017 les Lignes directrices pour lutter contre les violences sexuelles en Afrique et leurs conséquences, « conçues comme un outil qui propose aux États africains une méthodologie, les fondements d’un cadre légal et institutionnel adéquat et un ensemble de mesures pratiques, précises et concrètes ».
Condensées des principaux textes du droit international, elles énoncent et détaillent quatre obligations principales : prévenir les violences sexuelles et leurs conséquences ; protéger ; enquêter et poursuivre les auteurs de violences sexuelles, et enfin fournir aux victimes un recours effectif et une réparation. Les trois premières obligations sont traitées dans ce rapport.
3.4.1 PRÉVENTION
De façon générale les Lignes directrices de la CADHP requièrent des États qu’ils « prennent les mesures nécessaires pour prévenir toutes les formes de violences sexuelles et leurs conséquences, notamment en éliminant les causes profondes de ces violences, y compris les discriminations sexistes et homophobes, les préjugés et stéréotypes patriarcaux à l’égard des femmes et des filles, et/ou fondés sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle réelle ou supposée, et/ou certaines conceptions de la masculinité et de la virilité, quelle qu’en soit leur source ».
Les Lignes directrices détaillent différentes façons concrètes de mener à bien cet objectif de prévention, en demandant aux États de mettre en place (liste non exhaustive) des stratégies de sensibilisation (2.A) impliquant des campagnes (2.A.11) ciblant tout particulièrement les garçons, les hommes ainsi que les professionnels de la publicité et des médias ; en adaptant les programmes d’enseignement (2.B) et en formant les professionnels (2.C) les plus à même d’être confrontés ou impliqués dans des violences sexuelles ; en collaborant avec les acteurs locaux et les organisations de la société civile, en s’assurant de leur participation aux plans de prévention, et en empêchant toute interférence dans leur travail (2.E).
3.4.2 PROTECTION
Les Lignes directrices de la CADHP requièrent des États un signalement des violences sexuelles (3.A), des mesures de protection et de soutien des victimes (3.B), un soutien médical et un accès aux droits sexuels et reproductifs (3.C), un soutien social (3.D), un accès à l’information (3.E) et une coordination et coopération entre les acteurs (3.F).
Les États doivent notamment « créer des numéros d’urgence nationaux disponibles gratuitement 24/24 heures et 7/7 jours, créer, renforcer et/ou soutenir les accueils de jour et les lieux d’écoute, d’accueil et d’orientation pour les victimes de violences sexuelles ». Les mesures de protection doivent inclure des services tels que « l’assistance juridique, médicale – comprenant l’accès à un examen médico-légal, à des soins de santé sexuelle et reproductive et pour la prévention et le traitement du VIH/SIDA –, psychologique et financière, les services d’aide au logement, la formation, l’éducation et l’accompagnement en matière de recherche d’emploi ». Ces services doivent disposer « de ressources matérielles et financières adéquates ainsi que du personnel suffisant et spécifiquement formé ».
Il est précisé que « les mesures de protection et de soutien des victimes de violences sexuelles doivent être fournies indépendamment de leur volonté d’engager des poursuites ou de témoigner contre les auteurs ».
3.4.3 ENQUÊTE ET POURSUITE DES RESPONSABLES
Selon les Lignes directrices de la CADHP, la Guinée doit s’assurer « que son cadre juridique national garantisse que les définitions de toutes les formes de violences sexuelles prévues dans les législations pénales soient conformes aux standards régionaux et internationaux ». Elle doit aussi « garantir l’effectivité de toute procédure d’enquête et de poursuite relative aux actes de violences sexuelles ; garantir aux victimes le droit à une assistance juridique et judiciaire gratuite, dès l’étape de l’enquête préliminaire ; garantir la gratuité des frais médico-légaux ; édicter des dispositions claires et précises concernant la collecte, la conservation et l’archivage des preuves d’actes de violences sexuelles ; prévoir l’imprescriptibilité des infractions les plus graves de violences sexuelles / qualifiées de crimes par la loi ; interdire toute forme de médiation entre la victime et l’auteur de son agression avant ou au cours de la procédure judiciaire ; et prévoir des peines proportionnées à la gravité des actes de violences sexuelles. La Guinée doit en outre garantir une large diffusion du cadre juridique national ».
4. PRÉVENTION ET SENSIBILISATION
« Il faut parler du viol à l’école primaire, il faut en parler dans les familles, il faut sensibiliser. Il faut que les enfants sachent qu’ils sont en danger, et que cela peut arriver même en milieu scolaire. »
Halimatou Camara, avocate.
4.1 STRATÉGIES, CADRE LÉGAL ET CAMPAGNES DE SENSIBILISATION
4.1.1 STRATÉGIES ET CADRE LÉGAL
Les autorités guinéennes ont adopté ces dernières années des stratégies nationales, plans d’action et lois visant à atténuer les inégalités entre les hommes et les femmes et s’attaquer aux normes législatives, sociales et culturelles propices aux discriminations et violences à l’égard des femmes.
Le gouvernement a élaboré en 2010 puis en 2017 une stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre associée à un plan d’action, en application de la politique nationale genre (PNG) relative au « respect des droits humains et l’élimination des violences ». L’actuelle stratégie conçue en 2017 porte sur la période 2018-2022 et comprend cinq piliers : prévention, prise en charge, recherche, coordination, lutte contre des violences spécifiques. Elle souligne notamment dans son diagnostic la « concentration à Conakry » d’un dispositif « jugé peu fonctionnel et mal structuré ».
Il existe un autre plan d’action national, associé à la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité, ainsi qu’un plan stratégique pour l’accélération de l’abandon des MGF. Celui élaboré pour la période 2019-2023 a considéré que le précédent (2012-2016) était « trop ambitieux et manquait de réalisme », avec un objectif de réduire de 40% le taux de prévalence des MGF de la tranche d’âge de 0-15 ans d’ici fin 2016 dans chacune des régions du pays.
Plusieurs lois comprenant des dispositions progressistes ont par ailleurs été adoptées ces dernières années.
Djiwo Bah 00224664379620 onetopic84@gmail.com