Transition au Mali, présidentielle de 2025 en Côte d’Ivoire, partenariat entre Bamako et la Russie… Le reggaeman ivoirien, qui revient avec un onzième album, est intarissable dès lors qu’il s’agit de politique.
L’auteur de Françafrique (2003) ne lâche rien. Vingt ans après la publication de cet opus, le chantre du panafricanisme ivoirien, qui préfère vivre au Mali, continue de rêver et de défendre une Afrique souveraine et unie. Mais face au recul démocratique, l’éternel optimiste s’inquiète et en appelle au réveil des populations.
Avec Braquage de pouvoir, Tiken Jah Fakoly livre sa recette gagnante et sans surprise, dans un reggae traditionnel nimbé de sonorités mandingues. Un ouvrage rassembleur sur lequel il a convié, gracieusement, les Maliens d’Amadou et Mariam, les Français Grand corps malade et Dub Inc, qu’il espère inviter à La Cigale pour son concert prévu le 3 décembre, et le Jamaïcain Winston Mcanuff.
Braquage de pouvoir est votre onzième album. Qu’est-ce qui vous fait tenir et vous pousse encore à vous exprimer ?
Tiken Jah Fakoly : Tout simplement la situation dans laquelle se trouve l’Afrique, avec tout le paradoxe qu’elle porte. L’Afrique est l’un des continents les plus riches en termes de matières premières, mais les populations africaines sont les plus pauvres. Je ne suis pas un politique et je ne suis pas en mesure d’apporter des solutions.
Mais, avec ma musique, je peux dénoncer les injustices et les inégalités, comme celles liées également à notre indépendance, qui nous a été finalement confisquée. Puisque, jusqu’à aujourd’hui, il est difficile de se débarrasser de l’ancien colon. La plupart des hommes politiques africains des pays francophones rêvent d’avoir des liens avec la classe politique française, et c’est le cas depuis les années 1960. Ma modeste voix continue de porter, alors il faut la mettre au service de ce combat pour réveiller les populations sur la situation de l’Afrique et sur son potentiel.
En Côte d’Ivoire, vous n’avez pas toujours été bien accueilli, notamment début 2021, lorsque vous deviez interpréter les morceaux de ce nouvel album, en particulier « Gouvernement 20 ans », un titre à travers lequel vous dénoncez les dirigeants qui s’accrochent au pouvoir. Que s’est-il passé ?
J’avais en effet prévu de donner un concert dans l’un des quartiers les plus populaires d’Abidjan, à Abobo, le 3 janvier 2021. Je n’ai pas eu de refus franc, mais on m’a clairement fait comprendre de changer de site. J’ai finalement trouvé un nouveau lieu, puis on m’a dit que le concert allait paralyser la ville. Après quatre propositions de site, à chaque fois, on m’a sorti une excuse pour que le concert n’ait pas lieu, jusqu’à la veille de la représentation.
d’autres chefs d’état.
Que vous a inspiré la rencontre Gbagbo-Bédié-Ouattara en juillet dernier en Côte d’Ivoire ?
Je pense qu’à chaque fois que ces trois leaders se croisent, ça apaise les populations. La Côte d’Ivoire revient de très loin. Depuis la mort d’Houphouët-Boigny en 1993, le pays traverse des turbulences. Ce trio a écrit l’histoire politique de la Côte d’Ivoire. Mais il faudrait que les Ivoiriens aient le courage de dire à ces trois hommes politiques de ne pas se présenter aux prochaines élections. Et pour cela, ils doivent se mobiliser. Nous avons trois ans pour choisir un dauphin ou un héritier.
contexte mondial économiquement difficile, la révolution s’avère compliquée. Mais rien que de voir le Mali prendre position contre l’ex-puissance coloniale, cela me fait me sentir indépendant et libre. Si le Mali arrive à s’allier à de nouveaux partenaires, peut-être que cela mènera le pays vers une sortie de crise.
La Côte d’Ivoire est très françafricaine
J’imagine que vous faites allusion à la Russie… Soutenez-vous un tel partenariat ?
Vu la manière dont Poutine gère son pays, la Russie n’est pas un exemple sur le plan démocratique, alors que nous, Africains, sommes dans un processus démocratique. En revanche, d’un point de vue économique, il y a du potentiel à s’allier à la Russie. Depuis 1960, nous n’avions qu’un seul client pour la boutique africaine. Et ce client fixait le prix. Aujourd’hui, avec la Russie, la Chine, les États-Unis et l’Europe, nous pouvons faire monter les enchères. Voilà comment je vois la situation.
démocratique, alors que nous, Africains, sommes dans un processus démocratique. En revanche, d’un point de vue économique, il y a du potentiel à s’allier à la Russie. Depuis 1960, nous n’avions qu’un seul client pour la boutique africaine. Et ce client fixait le prix. Aujourd’hui, avec la Russie, la Chine, les États-Unis et l’Europe, nous pouvons faire monter les enchères. Voilà comment je vois la situation.
Je souhaite que les pays africains soient libres de dealer avec qui ils veulent, sans que la France n’exerce son monopole. C’est ce type de processus entamé par le Mali qui nous rend fiers. On est pauvres, mais on veut choisir. La Côte d’Ivoire en revanche est très françafricaine. Aucune lutte panafricaine ne sera possible pour le moment, puisque c’est un pays très divisé, ethniquement etc. Or, la révolution contre l’ancien colon ne peut se faire que dans l’unité. Et c’est cette union qui a manqué aux leaders des années 1960. Ne refaisons pas les mêmes erreurs.
Vous êtes un porte-voix. Existe-t-il encore des chanteurs militants ?
Il y a beaucoup d’artistes qui ont des messages engagés. Le problème qui se pose est celui des maisons de disques qui ne sont pas nécessairement prêtes à développer des artistes, car les albums ne se vendent pas.
Elles peinent à investir de l’argent sans attendre le retour sur investissement. Mais le militantisme et le talent sont encore là. En Guinée avec Takana Zion notamment, au Burkina, en Afrique du Sud, au Kenya, en Côte d’Ivoire… Partout. Parce que le reggae est la musique des sans-voix. Les jeunes gens l’ont bien compris.
jeuneafrique